Depuis le site d’entrée et après résorption, le médicament est distribué dans la circulation générale : les substances sont transportées par le sang dans les différents tissus de l’organisme. On résume sous le terme « distribution » le transport du médicament au niveau sanguin (phase plasmatique) puis sa diffusion dans les tissus (phase tissulaire).
1. Transport sanguin
Le sang joue le rôle d’un véhicule de transport par le plasma, les hématies et les protéines circulantes susceptibles de fixer la substance médicamenteuse. On parle alors de fixation aux protéines plasmatiques. Cette fixation est réversible.
La substance médicamenteuse injectée en intra-veineux ou résorbée se retrouve en contact avec les protéines aptes à fixer des substances exogènes comme le médicament. La substance médicamenteuse se retrouve alors sous forme libre ou liée aux protéines. Notons ici que seul le médicament libre est pharmacologiquement actif : on perçoit alors toute l’importance de cette étape de distribution dans le devenir du médicament dans l’organisme. Quelles sont les protéines concernées ? Peut-on définir l’importance de la liaison aux protéines ? Quelles sont les conséquences de la liaison ? La fraction libre peut-elle varier ?
La liaison aux protéines plasmatiques
Il existe un nombre important de protéines plasmatiques. Les principales protéines impliquées dans la fixation protéique sont l’albumine, l’alpha1-glycoprotéine, les lipoprotéines et les globulines.
• L’albumine est la plus abondante et présente de nombreux sites pouvant interagir avec des substances médicamenteuses
• L’alpha1-glycoprotéine est la plus petite en taille et est très riche en glucides
• A l’inverse, les lipoprotéines sont de grande taille et contiennent des quantités variables de lipides expliquant leur classification ; on distingue alors les HDL (high density lipoprotein), les LDL (low density lipoprotein) et les VLDL (very low density lipoprotein).
• Enfin, les globulines sont un groupe important de protéines susceptibles de fixer les médicaments et on distingue les alpha-, bêta- et gamma-globulines en fonction de leur masse molaire
La liaison médicament – protéine dépend de plusieurs facteurs : l’affinité du médicament pour les sites de liaison, le nombre de sites de liaison «disponibles» et la concentration du médicament.
• L’affinité, comme son nom l’indique, définit la capacité de fixation du médicament à la protéine. La fixation aux protéines peut être très forte même si l’affinité est faible : il suffit que la concentration en médicament soit élevée, ou que le nombre de sites disponibles soit important. La fixation aux protéines peut être faible avec une très forte affinité.
• La quantité de protéines disponibles pour la fixation peut varier en fonction de l’état physiologique et pathologique notament l'hypoalbuminémie.
La fixation est définie par le pourcentage de liaison pouvant aller de 0 à 100%. Par exemple, la fixation aux protéines plasmatiques de certains anti-inflammatoires est de 95%. La fixation du paracétamol est par contre nulle. On considère qu’une substance est fortement liée si son pourcentage de fixation dépasse 75%. Cette fixation aux protéines plasmatiques est importante, car seul le médicament sous sa forme libre est actif car pouvant atteindre sa cible membranaire ou intracellulaire. La forme liée agit comme une réserve qui ne traverse pas les membranes.
On parlait autrefois d'interactions médicamenteuses au niveau de la fixation aux proteines plasmatiques, deux médicaments pouvant théoriquement entrer en compétition sur le même site de fixation protéique, l'un pouvant "défixer" l'autre et théoriquement augmenter sa fraction libre (active). En fait, si théoriquement (dans un tube à essai) ces considérations sont exactes, cliniquement elles n'ont que peu de conséquences. En effet, la fraction libre (ou fu pour unbound fraction) étant également la fraction éliminée, si la liaison aux protéines plasmatiques diminue cela entraine une augmentation de la fraction éliminée et les concentrations ne sont que transitoirement modifiées [Benet et al, CPT, 2002]. De plus, si la fixation à une protéine plasmatique diminue, le médicament "défixé" va se fixer sur une autre protéine plasmatique. Cela s'observe en cas d'hypoalbuminémie sévère, situation dans laquelle on peut même observer une diminution des concentrations circulantes de médicaments très fixés par rapport à celles observées chez les sujets sains.
Fixation au niveau des éléments figurés
La fixation aux éléments figurés apparaît moins grande que celle relative aux protéines plasmatiques.
Pour résumer, lorsque le médicament atteint le plasma, il peut soit être fixé aux protéines plasmatiques, soit être fixé aux éléments figurés, soit se retrouver sous forme libre, c’est à dire sous forme active, diffusible dans les tissus.
2. Diffusion tissulaire
La diffusion ou distribution tissulaire est le processus de répartition du médicament dans l’ensemble des tissus et organes. La diffusion tissulaire présente les mêmes mécanismes que la diffusion au niveau sanguin. Les facteurs limitant de la diffusion tissulaire sont :
- la fixation aux protéines tissulaires qui déterminera la forme libre
- les caractéristiques physico-chimiques de la molécule, à savoir sa masse molaire, la lipophilie (coefficient de partage), le pKa de la molécule (qui conditionne son état d'ionisation ou non ionisation) et donc de sa capacité à franchir les membranes vasculaires et cellulaires
- l’irrigation des organes et le débit sanguin
- la participation de transporteurs membranaires faisant entrer (transporteurs d'influx) ou sortir (transporteurs d'efflux) les médicaments des cellules
Fixation protéique et distribution tissulaire
La diffusion tissulaire d’un médicament sera d’autant plus importante que la concentration plasmatique du médicament sous forme libre sera élevée. Cette forme libre est inversement proportionnelle à la fraction fixée aux protéines, qu’il s’agisse des protéines plasmatiques mais aussi des protéines tissulaires. L’intensité de la liaison constitue un des facteurs modulant la distribution tissulaire,
Enfin, pour un même médicament, la quantité fixée peut être différente d’un tissu à l’autre en fonction de l’affinité. Prenons l’exemple du tissu cérébral : il est riche en lipides et a une grand affinité pour les molécules liposolubles. La distribution au niveau de cet organe sera donc plus importante pour les molécules liposolubles.
Caractéristiques physico-chimiques du médicament et distribution tissulaire
La résorption des médicaments dépend étroitement des propriétés physico-chimiques du médicament tels que le pKa et le coefficient de partage. Aussi, la plupart des propriétés énoncées ci-dessous ont été présentées dans le chapitre «Absorption». Ces mêmes facteurs jouent un rôle déterminant pour la distribution au niveau des organes.
• La diffusion tissulaire à partir du plasma nécessite le passage de membranes lipidiques que sont les membranes cellulaires. Rappelons que le franchissement de telles membranes se fait par diffusion pour les molécules liposolubles, mais est infranchissable aux molécules hydrophiles du fait de la double couche phospholipidique de la membrane. Le franchissement de la barrière sang-tissu sera possible pour les molécules hydrophiles par l’intermédiaire de transporteurs spécifiques si l’affinité aux transporteurs est élevée. On distingue le transport actif, qui nécessite de l’énergie car va dans le sens contraire du gradient de concentration et le transport passif, qui va dans le sens du gradient de concentration. La diffusion à travers une membrane lipidique pour passer la barrière sang-tissu constitue donc un facteur limitant de la distribution tissulaire des médicaments.
• Par ailleurs, l’état d'ionisation des molécules, dépendant du pKa de la molécule et du pH du milieu, exerce aussi une influence. Par exemple, seule la fraction non-ionisée des molécules [NI] pénètre au niveau cérébral.
• Enfin, rappelons que l’obstacle membranaire n’existe pas pour les substances de faible masse molaire (ex: acides gras, ethanol)
Irrigation des organes et distribution tissulaire
Il faut distinguer les organes bien irrigués, comme le foie, les reins, le cœur, les poumons et le cerveau, et les organes ou tissus peu perfusés comme l’os, la peau et les graisses. Il existe une corrélation entre la vitesse de perfusion tissulaire et la vitesse de distribution vers ce même tissu.
Participation des transporteurs membranaires de médicaments
Un certain nombre de transporteurs médicamenteux transmembranaires conditionnent la diffusion d'un médicament dans un organe. Il y a tout d'abord les transporteurs d'influx (comme les Organic-Anion-Transporting Polypeptide (OATP) par exemple pour le foie ou les Organic Anion Transporter (OAT)/ Organic Cation Transporter (OCT) pour le rein) qui permettent rapidement de capter les médicaments dans le cellules d'un organe. Cet influx peut être atteindre 100% d'un médicament pénétrant dans un organe comme le foie ou le rein (figure n°4), assurant un effet de premier passage hépatique ou une sécrétion tubulaire rénale quasi complet(e). Ces grâce à ces mécanismes de transport d'influx que des médicaments peuvent se concentrer dans certains organes. Il existe également des transporteurs d'efflux comme la P-glycoprotéine déjà mentionnée dans les phénomènes limitant l'absorption intestinale qui peuvent limiter la pénétration de certains médicaments dans un organe. La figure n°5 met en évidence ce transporteur d'efflux dans l'intégrité de la barrière hémato encéphalique qui limite la pénétration cérébrale de nombreux médicaments.
figure n°4: les transporteurs d'influx participent à la diffusion des médicaments
figure n°5: les transporteurs d'efflux s'opposent à la diffusion des médicaments dans des organes
Pour résumer, une substance médicamenteuse est d’autant mieux distribuée qu’elle présente une faible fixation aux protéines plasmatiques, une forte affinité pour les protéines tissulaires et/ou une liposolubilité importante et/ou qu'il existe des transporteurs d'influx. La distribution est d’autant plus rapide qu’elle concerne des organes ou tissus bien perfusés.
3. Paramètres résumant la distribution
La distribution dans l’organisme est résumée par le volume de distribution.
Le volume de distribution (Vd) se calcule à partir de la quantité de médicament dans l’organisme divisé par la concentration plasmatique du médicament.
Vd = Quantité / concentration
Ce volume est un volume théorique qui serait atteint s'il y avait une répartition homogène de la molécule dans le volume, c’est à dire que la concentration du médicament serait partout identique à celle du plasma. Devant une forte fixation tissulaire, la concentration plasmatique est faible et le volume de distribution sera important (inversement proportionnel). Devant une faible fixation tissulaire, la concentration plasmatique est élevée et le volume de distribution sera faible. Pour comprendre ce phénomène de volume de distribution théorique, fictif, prenons le cas d’un être humain standard : il a 40 litres d’eau corporelle, dont environ 3-4 litres de plasma et pourtant le volume de distribution des antidépresseurs imipraminiques par exemple est estimé à plus de 1000 litres. Ceci explique pourquoi une estimation d’un volume de distribution d’un médicament au dessus de 3-4 litres laisse supposer la présence d’un compartiment autre que le compartiment sanguin, car il sous-entend une forte distribution dans un des tissus de l’organisme : c’est le compartiment périphérique. Prenons un autre exemple : soit un médicament administré par voie intra-veineuse à la dose de 100 mg. La concentration après injection est mesurée à 5 mg/L, soit un volume apparent de distribution de 20 L. Il s'agit là d'une faible distribution tissulaire. Prenons un autre médicament administré à la même dose, si la concentration mesurée est de 1 mg/L , le volume apparent de distribution est de 100 L, soit une importante distribution tissulaire.
La fixation protéique (Fu) est également un paramètre de la distribution.
Ainsi, à l’état d’équilibre, on considère que le sang est le reflet de ce qui se passe dans l’organisme, même si les concentrations dans les différents tissus sont généralement différentes. En toute rigueur, dans l’équilibre plasma-tissus, il ne faudrait tenir compte que de la fraction libre du médicament, c’est à dire la fraction diffusible. Mais le rapport forme liée / forme libre est souvent constant et la mesure de la concentration totale est suffisante pour la surveillance thérapeutique, c’est à dire pour déterminer la marge entre efficacité et toxicité ou marge thérapeutique ou index thérapeutique.