*Pharmacologie des substances addictives : Les points essentiels
Résumé de la fiche
Les conduites addictives, i.e. le rapport pathologique qu'un individu peut présenter avec un produit ou comportement, résultent de l'interaction entre trois types de facteurs : des facteurs liés à l'individu, des facteurs liés à l'environnement et des facteurs liés au produit concerné.
Ces conduites peuvent concerner des substances licites (médicaments psychotropes, tabac, alcool), illicites (héroïne, cocaine, amphétamine, nouveaux produits de synthèse, cannabis), ainsi que des médicaments non psychotropes (corticoïdes, stéroides anabolisants, etc..).
On distingue trois grands groupes de symptômes :
- les symptômes comportementaux
- les répercussions sociales / médicales
- les symptômes pharmacologiques : tolérance et sevrage
La présence ou non de ces symptômes ainsi que leur association à des degrés divers permet de définir différents types d'usage : l'usage simple et le mésusage (usage à risque, usage nocif et dépendance).
Les substances psychoactives ont fait l'objet de plusieurs propositions de classification. Nous proposons d'utiliser ici celle de Delay et Deniker (1957) :
- psycholeptiques (ralentissent le système nerveux central) : anxiolytiques, hypnotiques détournées de leur usage
- psychoanaleptiques (accélèrent le système nerveux central) : caféine, tabac, cocaine, amphétamines et dérivés
- psychodyleptiques (perturbateurs du système nerveux central) : alcool, hallucinogènes (kétamine, LSD, psylocybine, phencyclidine, peyotl), stupéfiants (morphine, héroïne, opium)
Les traitements utilisés en addictologie peuvent avoir différentes fonctions : traitement du sevrage, traitement de susbtitution, traitement addictolytique.
Item(s) ECN
72 : Prescription et surveillance des psychotropes73 : Addiction au tabac.
74 : Addiction à l’alcool
75 : Addiction aux médicaments psychotropes (benzodiazépines et apparentés)
76 : Addiction au cannabis, à la cocaïne, aux amphétamines, aux opiacés, aux drogues de synthèse
78 : Dopage
132 : Thérapeutiques antalgiques, médicamenteuses et non médicamenteuses
326 : Prescription et surveillance des classes de médicaments les plus courantes chez l’adulte et chez l’enfant
319 : La décision thérapeutique personnalisée : bon usage dans des situations à risque
Rappel physiopathologique
L’addiction implique quatre principales régions et fonctions cérébrales :
- Le cortex préfrontal : pour le contrôle
- Le striatum : pour la motivation
- Le nucleus accumbens : pour le plaisir
- L’hippocampe : pour la mémoire
La stimulation de ces régions va activer le système mésocorticolimbique de la récompense qui associe plaisir, motivation et mémorisation. La voie dopaminergique mésolimbique projette depuis l’aire tegmentale ventrale vers le nucleus accumbens, structure située au niveau du striatum ventral.
Quelque soit leurs propriétés pharmacologiques propres, les molécules psychoactives impliquées dans les addictions augmentent la concentration de la dopamine dans le nucleus accumbens par différents mécanismes : desinhibition des neurones dopaminergiques, stimulation directe des neurones dopaminergiques ou inhibition de la recapture de la dopamine.
Dans l’addiction, on retrouve un dérèglement progressif du système de récompense qui va être à l’origine des trois grands groupes de symptômes suivants :
- les symptômes comportementaux : perte de contrôle progressive, impossibilité croissante d'arrêter ou de réduire les comportements addictifs, craving (=envie irrépressible de consommer alors qu'on ne le souhaite pas)
- les répercussions sociales / médicales : les conséquences doivent être durables et significatives dans la vie du sujet
- les symptômes pharmacologiques : tolérance et sevrage. Le phénomène de tolérance se définit comme la nécessité d'augmenter les doses pour obtenir le même effet, que celui-ci soit de simple utilité thérapeutique (ex. analgésie morphinique) ou corresponde à la recherche d’un plaisir. La tolérance est sous-tendue par des mécanismes moléculaires complexes tels la désensibilisation des récepteurs et leur soustraction membranaire ("down regulation").
La présence ou non de ces symptômes ainsi que leur association à des degrés divers permet de définir différents types d'usage : l'usage simple et le mésusage (usage à risque, usage nocif, dépendance).
- usage simple : consommation d'une substance qui ne revêt pas de caractère pathologique. Il n'est valable que pour l'alcool.
- usage à risque : niveau de consommation qui expose à des risques lors de consommations aigües ou chroniques, sans que ceux-ci soient encore apparus
- usage nocif (ou abus) : consommation répétée induisant des dommages médicaux ou sociaux (sans atteindre les critères de dépendance) avec la répétition des comportements malgré les conséquences qu'ils peuvent avoir.
- dépendance : impossibilité de s'abstenir de consommer
La dépendance correspond à des phénomènes comportementaux, cognitifs ou physiologiques dans lesquels la recherche et la consommation du (ou des) produit(s) utilisés deviennent prioritaires. En cas d’arrêt brutal de prise de produit chez un patient dépendant, des symptômes de sevrage peuvent survenir, associant signes neurovégétatifs, troubles du comportement, angoisse.
La pharmacologie de chaque substance et la gravité des tableaux cliniques qu’elle entraîne conditionnent le choix des traitements médicamenteux qui peuvent être proposés pour un sevrage ou une substitution.
Médicaments existants
Différentes catégories de substances peuvent être de troubles addictifs qui peuvent se manifester par les principaux signes cliniques suivants (tableau ci-dessous).
Classe pharmaco-toxicologique |
Substances |
Signes en cas d’intoxication aigüe |
Signes en cas de sevrage |
Psycho- Dysleptiques (perturbateurs du SNC) |
Alcool |
Désinhibition, ébriété, ivresse pathologique, trouble de coordination motrice, sédation, dépression respiratoire, coma ; autres complications (hépatite aigüe, pancréatite, encéphalopathie) |
Anxiété, agitation, sueurs, tremblements, tachycardie, HTA Accidents de sevrage : delirium tremens, crises convulsives |
Stupéfiants (héroïne, morphine et dérivés) |
Nombreux effets neuro-végétatifs : sédation, myosis, nausées, bradycardie, bradypnée, constipation, hypothermie, analgésie, (parfois prurit, rétention d’urine), indifférence affective, hallucinations, (parfois convulsions). La surdose (i.e. « overdose ») est caractérise par un coma calme avec bradypnée puis arrêt respiratoire. |
Il comporte des signes en miroir (insomnie, mydriase, tachycardie tachypnée, diarrhée, hyperalgie, spasmes digestifs, pollakiurie,…) et des troubles associés (sudation, agressivité,..) |
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Cannabis |
Effets neuropsychiatriques : euphorie puis sédation, sensation de bien-être, trouble du jugement, anxiété, retrait social temporaire, sensation de ralentissement du temps ou modification de perceptions sensorielles, parfois psychose cannabique Effets cardiovasculaires |
Aigu : irritabilité, agressivité, anxiété, impatience, humeur dépressive, troubles du sommeil, diminution de l’appétit ou perte de poids |
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Kétamine |
Dépersonnalisation, déréalisation, expériences de mort clinique, flash-back, khole, dépression respiratoire modérée et transitoire, coma, attaque de panique |
Anxiété, tremblements, palpitations |
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GHB |
Euphorie, désinhibition, aphrodisiaque, altération du niveau de conscience, perte de contrôle, relaxation, sommeil, nausées, vomissements, sensation ébrieuse, troubles du cours de la pensée, hyperthermie |
Agitation, hallucinations, trouble psychotique bref, trouble dépressif caractérisé, anxiété, insomnie, confusion, tremor, tachycardie, HTA |
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LSD |
Hallucinations distorsions perceptuelles, agitation, mydriase, nystagmus, hyperthermie, tachycardie, HTA, tachypnée |
Hallucinations géométriques, fausses perceptions de mouvement, flash de couleurs |
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Psylocybine, Ibogaïne, mescaline |
Distorsions visuelles et auditives, synesthésies, euphorie, mydriase, nausées, angoisse, phobies, état confusionnel, bouffées délirantes aigües |
? |
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Sauge divinatoire |
Hallucinations et mysticisme |
Dépression ? |
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Psycho- Leptiques (ralentisseurs du SNC) |
Benzodiazépines et apparentées (zopiclone, zolpidem) |
Sédation, trouble de la vigilance, ataxie, dysarthrie voir coma avec dépression respiratoire |
Tremblements, anxiété, insomnie, céphalées, confusion, hallucinations, troubles de la vigilance, convulsion, incoordination motrice |
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Psycho- Analeptiques (accélérateurs du SNC) |
Tabac |
Effets nicotiniques : psychostimulant, troubles digestifs, malaise vagal, tachycardie secondaire |
Humeur dépressive, irritabilité, insomnie, anxiété, difficultés de concentration, augmentation de l’appétit, prise de poids |
Caféine |
Insomnie, excitation, tachycardie, céphalées, nervosité, irritabilité, tremblements, bouffées de chaleur, polyurie, troubles gastro-intestinaux |
Céphalées, fatigue, humeur dysphorique, difficultés à se concentrer, symptômes pseudo-grippaux |
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Cocaïne |
Psychostimulant, euphorie, idées de grandeur, tachypsychie, désinhibition, hypervigilance, insomnie, anorexie, tachycardie, HTA, mydriase, pâleur cutanée, crises convulsives
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Dysphorie, asthénie, troubles du sommeil, augmentation de l’appétit, ralentissement psychomoteur, agitation
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Amphétamines |
Psychostimulant, entactogène, euphorie, idées de grandeur, tachypsychie, hypervigilance, insomnie, anorexie, tachycardie, HTA, augmentation de la fréquence respiratoire, dilatation bronchique
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Dysphorie, asthénie, anhédonie, troubles du sommeil, troubles de la concentration |
Mécanismes d’action des différentes molécules
Le tableau 2 présente les principales classes de médicaments employés pour l’aide au sevrage ou pour la substitution
>>> Tableau 2 : Présentation par catégorie de substances addictives des traitements employés pour le sevrage ou la substitution.
Classe pharmaco-toxicologique |
Substances |
Médicaments utilisés pour le sevrage et addictolytiques |
Médicaments de substitution |
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Psycho-dysleptiques (perturbateurs du SNC) |
Alcool |
En cas d’alcoolo-dépendance
- Maintien d’abstinence : acamprosate, naltrexone, disulfiram (deuxième intention), baclofène (RTU) - Réduction de consommation : nalméfène, baclofène (RTU) |
Aucun |
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Stupéfiants (héroïne, morphine et dérivés) |
Traitement du syndrome de sevrage
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TSO commercialisés :
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Cannabis |
Selon la symptomatologie : hydroxyzine, antiémétiques |
Aucun |
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Kétamine, GHB, LSD, champignons hallucinogènes |
Selon la symptomatologie, pas de traitement recommandé |
Aucun |
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Psycholeptiques (ralentisseurs du SNC) |
Benzodiazépines et apparentées (zopiclone, zolpidem) |
Diminution progressive des posologies |
Aucun |
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Psychoanaleptiques (accélérateurs du SNC) |
Tabac |
Traitements d’aide au sevrage :
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TNS Nicotine : ‘patchs’ et per os |
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Amphétamine et apparentés |
Selon la symptomatologie, pas de traitement recommandé |
Aucun |
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Cocaïne |
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TSN : traitement de substitution nicotinique ; TSO : traitement de substitution opiacé
Effets utiles en clinique
Par définition, les molécules avec un statut de médicaments (opioïdes analgésiques, benzodiazépines) n’ont d’effet utile que dans le cadre d’une utilisation thérapeutique donc conformément à l’AMM, ou hors AMM dans le cadre de protocoles scientifiquement et éthiquement approuvés. Les informations de références sont donc contenues dans les résumés des caractéristiques du produit (RCP) ; hors de ces mentions l’usage de psychotropes connus pour être l’objet de mésusage et de dépendance constitue une infraction.
Les benzodiazépines notamment doivent être prescrites aux posologies et durées conformes aux AMM car elles possèdent un potentiel addictogène important.
Pharmacodynamie des effets utiles en clinique
Les traitements utilisés en addictologie peuvent avoir différentes fonctions :
- traitement du syndrome de sevrage : afin de limiter l'intensité des symptômes liés à l'arrêt de consommation du produit
Exemple de la dépendance à l'alcool : usage de benzodiazépines à visée de neuroprotection, prévention de l'encéphalopathie de Gayet-Wernicke avec la vitaminothérapie B1
Exemple de la dépendance aux opiacés : usage de TSO pour limiter l'apparition de syndrome de sevrage
D'autres traitements peuvent être utilisés à visée symptomatique.
- traitements de substitution :
Exemple des TSO pour la dépendance aux opiacés, exemple des TSN pour la dépendance tabagique
- traitements addictolytiques (lutte contre le craving)
Exemple de la dépendance à l'alcool : les traitements addictolytiques peuvent être utilisés pour l'aide au maintien d'abstinence (acamprosate, naltrexone, disulfiram en deuxième intention et baclofène dans le cadre de la RTU) ou la réduction de consommation (nalméfène, baclofène dans le cadre de la RTU).
Les objectifs de prise en charge visent idéalement à un arrêt durable du mésusage. Pour toutes les substances en dehors de l’alcool, l’arrêt du mésusage équivaut à un arrêt de l’usage, car il n’existe pas d’ « usage simple » défini en dehors de l’alcool. Par exemple, tout usage, même rare, de cannabis ou de cocaïne, constitue un mésusage.
Source de la variabilité de la réponse
En matière de sevrage et de substitution, la variabilité de la réponse est plurifactorielle.
La problématique addictive résultant de la rencontre entre un individu, un produit et un environnement donné (Claude Olivenstein), l'issue de la prise en charge va dépendre de ses différents facteurs. Par exemple, la motivation du sujet, son étayage familial et social sont fondamentaux. On sait également que certaines substances addictives sont plus addictogènes que d'autres.
Précautions d’emploi
Pour chaque catégorie de substance addictive, se reporter aux médicaments employés pour le sevrage ou la substitution.
Effets indésirables
Les effets indésirables découlent des propriétés pharmacologiques des médicaments employés tant dans le sevrage que pour la substitution.
Surveillance des effets
Il est de la responsabilité du médecin prescripteur de s’assurer du bon usage des médicaments prescrits et de s’assurer également que le rapport bénéfice/risque reste favorable au patient.
En terme d’addiction, le travail en réseau et la contribution d’un pharmacien référent semblent nécessaires car ils permettent cette surveillance rapprochée des effets et du bon usage.
La réinsertion sociale est aussi un moyen indirect d’évaluation du bon usage des médicaments de substitution et d’accompagnement.