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pharmaco-medicale

Site du Collège National de Pharmacologie Médicale

Opiacés forts

Résumé de la fiche

Les opiacés ont une action dépressive spinale directe et supra-spinale sur la transmission des messages nociceptifs, ce sont des antalgiques centraux. Ils agissent en se liant à des récepteurs spécifiques.

Les morphiniques purs sont les analgésiques les plus puissants. La morphine est le produit de référence. Ils sont indiqués dans des douleurs intenses et/ou rebelles (niveau III OMS) aux antalgiques de niveau plus faible. Ils exposent au risque de dépression respiratoire qui peut être antagonisé par la naloxone ou la nalorphine.

La relation dose-efficacité-tolérance est très variable d’un patient à l’autre, il est donc important d’adapter la posologie progressivement en fonction des besoins du patient avec surveillance des effets indésirables (nausées, vomissement, confusion). La constipation est un effet indésirable connu de la morphine qui doit être traitée de manière préventive.

En fonction de la durée du traitement, de la dose administrée et de l’intensité de la douleur, l’arrêt de la morphine doit être réalisé de manière progressive pour éviter un syndrome de sevrage.

La morphine fait partie des stupéfiants, pouvant donner lieu en dehors du traitement de la douleur, à une utilisation détournée (mésusage).

Item(s) ECN

72 : Prescription et surveillance des psychotropes
132 : Thérapeutiques antalgiques, médicamenteuse
326 : Prescription et surveillance des classes de médicaments les plus courantes chez l'adulte et chez l'enfant

Rappel physiopathologique

voie de la douleur

Médicaments existants

Molécules

Formes disponibles

Morphine

Voie orale

Morphine à libération rapide  (Morphine buvable, Sévrédol, Actiskénan)

Morphine à libération prolongée  (Moscontin, Skénan LP, Kapanol LP)

Morphine  

Voie parentérale

Morphine intraveineuse, pompe à morphine, sous-cutanée

Adjuvant de l’anesthésie locorégionale (rachianesthésie, péridurale, etc…)

Dérivés morphiniques

Voie orale

Pentazocine (Fortal), Fentanyl (Actiq), Hydromorphone (Sophidone), Oxycodone (Oxycontin)

Dérivés morphiniques

Voie parentérale 

Péthidine (Dolosal), Fentanyl (Fentanyl, Durogesic, Matrifen, Actiq), sufentanil (Sufenta), remifentanil (Ultiva), alfentanil (Rapifen)

Effets utiles en clinique

-Analgésie

L'analgésie produite par les morphiniques est intense, constante et dépendante de la dose. Cette analgésie se retrouve quel que soit le type de douleur et correspond à une augmentation du seuil nociceptif. Les morphinomimétiques présentent des puissances d’action différentes. En pratique, les morphiniques sont utilisés dans le traitement des douleurs intenses et/ou rebelles aux antalgiques de niveau plus faible.

Dans le cadre de douleurs chroniques, la morphine est administrée par voie orale en associant éventuellement à la morphine à libération prolongée de la morphine à libération rapide ou un dérivé morphinique (fentanyl oral transmuqueux) pour traiter les épisodes douloureux.

Pour les douleurs aiguës, en fonction de la rapidité de l’effet souhaité, la morphine peut être administrée par voie intra-veineuse voire sous-cutanée pour être efficace rapidement.

La morphine peut également être administrée en pompe d’auto-administration contrôlée par le patient « PCA » (Patient Controlled Analgesia) où le patient déclenche l’administration d’un bolus intra-veineux pré-programmé de morphine.

Enfin, un dérivé de la morphine, le fentanyl existe sous forme de dispositif trans-dermique permettant un effet plus stable dans le temps.

-Oedème aigu du poumon

Bien que nécessitant des précautions d’emploi accrues, la morphine peut améliorer la symptomatologie de l’oedème aigu du poumon causé par une insuffisance cardiaque gauche. Cependant le mécanisme sous-jacent n’est pas connu.

-Toux

A faibles doses les morphiniques possèdent un effet anti-tussif même si d’autres classes de médicaments devraient être utilisées dans cette indication.

-Morphiniques utilisés en Anesthésie

Des dérivés synthétiques de la morphine sont très largement utilisés en anesthésie. Plusieurs produits, beaucoup plus puissants que la morphine, sont disponibles : fentanyl, sufentanil, alfentanyl, remifentanil. L’administration se fait généralement par voie intraveineuse au cours de l’anesthésie générale où ils sont associés à des médicaments hypnotiques. Les morphiniques sont également extrêmement efficaces lorsqu’il sont administrés par voie péri-médullaire (intrathécale ou épidurale) en particulier pour l’analgésie obstétricale.

Pharmacodynamie des effets utiles en clinique

L’évaluation des effets de la morphine consiste en une mesure de l’effet analgésique correspondant à une répétition de la mesure de l’intensité douloureuse avant et après traitement. Classiquement cette mesure se fait par des échelles verbales (EVS) ou visuelles (EVA). Bien qu’en partie subjective, la répétition de ces mesures est un bon moyen d’évaluer l’efficacité analgésique.

En pratique, cette évaluation dépend des modalités d’administration :

Pour l’administration de morphine par voie orale, l’évaluation doit être initialement pluriquotidienne et nécessite une adaptation régulière par palier en fonction de la réponse au palier précédent.

Pour l’administration de morphine intraveineuse, on réalise une « titration » de la douleur en répétant les injections de morphine toutes les 6-10 minutes jusqu’au soulagement complet du patient tout en surveillant l’apparition des effets indésirables. (Modalité réservée à des situations particulières : traumatologie, post-opératoire, soins intensifs, etc…)

Pour l’administration sous-cutanée, l’efficacité maximale est observée en une trentaine de minutes.

La tolérance pharmacologique ou les effets indésirables peuvent être contournés par l’emploi d’un autre morphinique (ex : abandon de la morphine et introduction de l’hydromorphone).

Lors du passage d’une molécule à l’autre, la posologie est à adapter en tenant compte des facteurs d’équianalgésie (Tableau 1).

Tableau 1. Doses équianalgésiques à 10mg de morphine orale

Molécules

Equivalence (mg)

Rapport

morphine orale

10

1

codéine

60

1/6

tramadol

50

1/5

pentazocine

15

1/1,5

oxycodone

5

2

nalbuphine

5

2

morphine SC

5

2

morphine IV

3,3

3

hydromorphone

1,33

7,5

méthadone

1

10

buprénorphine

0,33

30

fentanyl transdermique

25 µg /60mg

Environ 160

De manière générale, la coadministration d’autres antalgiques (paracétamol, néfopam, AINS, etc…) permet de diminuer la posologie de morphine de manière significative et ainsi de diminuer ses effets indésirables.

L’effet maximal est obtenu en 7 min en intra-veineux, 30 min en sous-cutané, 1h per os (libération immédiate), 8h-16h par voie transdermique.

Caractéristiques pharmacocinétiques utiles en clinique

Molécules

Résorption

(voie orale)

Fixation protéique

Demi-vie

Métabolisme Hépatique 

Voie d’élimination

Morphine orale simple

Faible

35%

4h

Glycuroconjugaison

Déméthylation CYP450

90% rénale

Hydromorphone

Bonne

7%

2,5h

Glycuroconjugaison

rénale

0xycodone

Bonne

50%

5-7h

Glycuroconjugaison

CYP450

rénale

Rémifentanyl

 

93%

0,17-0,4h

Non : déestérification non spécifique

rénale

Fentanyl

 

80%

3h

CYP450

rénale

Sufentanil

 

92%

3h

CYP450

rénale

Alfentanyl

 

79%

1,6h

CYP450

rénale

Pethidine

 

70%

5h

N-désalkylation

glucuronoconjugaison

rénale

Source de la variabilité de la réponse

La variabilité de réponse à la morphine résulte de la variabilité pharmacocinétique, de la sensibilité individuelle à la douleur et du profil individuel de réponse aux opiacés. En conséquence, la prescription ne peut être standardisée et doit impérativement s’adapter en fonction de la réponse du patient.

-La prescription initiale de morphine orale (en général 1 mg/kg/24h,) doit tenir compte de l'âge du sujet (dose initiale réduite de moitié chez les sujets âgés), du terrain pathologique, des contre-indications.

-Interactions médicamenteuses :

Contre-indiquées : agonistes-antagonistes morphiniques : diminution de l’effet antalgique par blocage compétitif des récepteurs, avec risque d’apparition d’un syndrome de sevrage

Déconseillées : majoration, par l’alcool, de l’effet sédatif des analgésiques morphiniques

Autres dérivés morphiniques (y compris antitussifs) : risque majoré de dépression respiratoire

Autres dépresseurs du système nerveux central (neuroleptiques, anxiolytiques, hypnotiques …)

-L'âge : les personnes âgées sont plus sensibles aux effets dépressifs respiratoires et sédatifs que les sujets plus jeunes.

Situations à risque ou déconseillées

Hypersensibilité à la morphine.

Insuffisance hépatique : diminution de l’élimination.

Insuffisance rénale : risque d’accumulation des dérivés actifs glucuronoconjugués.

Insuffisances respiratoires : risque majoré de dépression respiratoire.

Hypertension intracrânienne en l’absence de ventilation contrôlée : risque d’augmentation du taux de CO2 risquant d’aggraver les lésions cérébrales.

Epilepsie non contrôlée (péthidine++).

Syndrome abdominal aigu, si la conservation de la douleur a une utilité (pour faire le diagnostic par exemple).

Précautions d’emploi

Pour être efficace sur des douleurs qui durent, la morphine doit être donnée de façon préventive plutôt que curative.

Il faut chercher, en augmentant progressivement la dose orale, la posologie individuelle antalgique, sans la dépasser (de 2,5 mg toutes les 4 heures à 5, 10, 20, 30, 45, 60... mg par prise), en se rappelant que la biodisponibilité de la morphine et la douleur elle-même sont très variables d'un sujet à l'autre. Puis, éventuellement, passer aux formes à libération prolongée, en répartissant alors la posologie totale de la journée sur une ou deux prises, selon la spécialité choisie.

Il faut surveiller l'apparition d'une dépression respiratoire (tout à fait exceptionnelle par voie orale si la plus faible dose efficace a été recherchée); on peut antagoniser les effets de la morphine, par un anti-morphinique, la naloxone.

Il ne faut pas arrêter brutalement un traitement chronique par un morphinique afin d’éviter un syndrome de sevrage.

 Règles de prescriptions :

Ordonnances sécurisées

Morphine parentérale : 7 jours maximum.

Morphine orale : 28 jours.

Morphine IV avec système de perfusion (PCA) : 28 jours.

Dérivés morphiniques per os, transmuqueux et transdermiques: 28 jours.

Effets indésirables

-Dépression respiratoire : elle est dose-dépendante et secondaire à une diminution de la sensibilité des centres respiratoires au CO2. Au maximum, elle peut entraîner une apnée. La douleur constituant en elle-même un antagonisme physiologique à cet effet de la morphine, il ne doit pas être un frein à la prescription.

-Inhibition de la toux : les morphiniques dépriment également les centres de la toux. Cette action apparaît dès les plus faibles doses et expose aux risques d'encombrement bronchique.

-Nausées, vomissements par stimulation de la chemoreceptor trigger zone, la morphine peut nécessiter la prescription de thérapeutiques adaptées (métoclopramide, métopimazine, etc…)

-Constipation : le péristaltisme et les sécrétions hydriques sont diminués par la morphine et la tonicité des sphincters lisses est renforcée. Il en résulte une constipation opiniâtre quasi constante et un retard de la vidange gastrique.

-Au niveau urinaire, sur des terrains prédisposés (adénome prostatique, sténose urétrale), on peut voir des rétentions urinaires en raison de l'hypertonie du sphincter externe de la vessie et de l'abolition du réflexe mictionnel.

-Histamino-libération :la vasodilatation qui en résulte peut provoquer des hypotensions orthostatiques. La libération d'histamine peut induire également des flushs ou des urticaires accompagnés ou non de prurit.

-Effet sédatif : fréquent, il apparaît surtout en début de traitement et semble résolutif en quelques jours.

-Effet psychodysleptique : parfois excitation, confusion, hallucinations majorées par l'association à certains autres psychotropes.

-Convulsions (péthidine)

-Hypertension intra crânienne chez les patients ayant une pathologie intra-crânienne.

Surveillance des effets

Le syndrome de sevrage peut survenir quelques heures après l'arrêt brutal d'un traitement prolongé ou après administration d'un antagoniste. Il associe des signes neurovégétatifs et peut être soulagé par la clonidine et les neuroleptiques. Il débute par des bâillements, mydriase, rhinorrhée, sueurs, larmoiements, puis agitation, insomnie, tremblements, myoclonies, douleurs musculaires et articulaires, alternance de bouffées de chaleur avec vasodilatation et de frissons avec piloérection, anorexie, vomissements, diarrhées, crampes abdominales, éjaculations spontanées, polypnée, tachycardie et hypertension.

La sévérité dépend du métabolisme de la substance, de la dose journalière, de la régularité et de la durée des prises, de facteurs psychologiques. Il dure de 5 à 10 jours sans traitement. Il est lié en partie à une hypersensibilité des récepteurs noradrénergiques.

Surdosage : Le tableau associe une somnolence suivie d’une dépression respiratoire, un myosis, une hypotension, un coma profond avec hypothermie. Son traitement en milieu spécialisé impose une réanimation cardio-respiratoire et l'administration d'un antidote antagoniste compétitif des récepteurs aux opiacés (naloxone, nalorphine).

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  • 12 mai 2023