Inhibiteurs de la voie Th2
Résumé de la fiche
Le dupilumab (inhibiteur du récepteur de l’interleukine 4 (IL4) et 13 (IL13)), le tralokinumab (inhibiteur de l’IL13), le mepolizumab (inhibiteur de l’interleukine 5 (IL5)), le benralizumab (inhibiteur du récepteur de l’IL5), l’omalizumab (inhibiteur des immunoglobulines E (IgE)) sont des biomédicaments (ou biothérapies) ciblant spécifiquement la voie Th2.
Ils ont profondément changé la prise en charge des maladies inflammatoires chroniques au sein desquelles cette voie est activée. Leurs principales utilisations concernent les maladies du spectre atopique, notamment l’eczéma atopique (ou dermatite atopique) et l’asthme. Ils sont également utilisés pour d’autres maladies telles que la polypose nasosinusienne, la granulomatose avec polyangéite, le syndrome hyperéosinophilique essentiel lymphoïde, l’urticaire chronique, et, dans une moindre mesure les allergies alimentaires ou encore le DRESS. Ces médicaments sont tous des anticorps monoclonaux humains ou humanisés. Ils sont administrés par injections sous cutanée et dans la majorité des cas en monothérapie. Ils font baisser quantitativement les cytokines Th2 ce qui va permettre de contrôler l’activité de ces maladies. Leur tolérance est globalement bonne, avec peu ou pas d’infections opportunistes. Néanmoins, on peut observer certaines manifestations en lien avec l’activation paradoxale d’autres voies auto-inflammatoires, notamment la voie Th17.
A noter que ces traitements sont tous des traitements de seconde ligne réservés aux formes sévères des maladies inflammatoires Th2. Les traitements de première ligne sont les corticoïdes, topiques par voie cutanée pour l’eczéma et inhalés pour l’asthme. Nous ne parlerons pas ici des inhibiteurs de Janus Kinase (JAK), pouvant cibler la voie Th2 mais avec un effet bien plus ubiquitaire (notamment inhibition de la voie des interférons de type I, inhibition de la voie Th17, de l’hématopoïèse etc…)
Item(s) ECN
188 - Hypersensibilité et allergies respiratoires chez l’enfant et chez l’adulte. Asthme, rhinite218 - Éosinophilie
Rappel physiopathologique
Rappels généraux
La suractivation anormale de la voie Th2 se rencontre principalement dans les maladies du spectre atopique, notamment l’eczéma atopique et l’asthme.
Les principales cytokines et médiateurs impliquées sont les suivants :
- L’interleukine 33 (IL33) et le TSLP : ce sont des alarmines sécrétées par les cellules épithéliales, notamment les kératinocytes ou les cellules de l’épithélium bronchique.
- L’IL4 et l’IL13 : ce sont les cytokines principales de cette voie. Elles sont principalement libérées par les cellules lymphoïdes innées 2 (ILC2) et les lymphocytes T-CD4+ Th2, ainsi que les mastocytes. Ce sont les cytokines d’initiation de la voie Th2.
- L’IL5 : cette cytokine est principalement libérée par les lymphocytes T-CD4+ Th2. Son principal rôle est d’activer les polynucléaires éosinophiles.
- Les IgE : ce sont des anticorps sécrétés par les lymphocytes B ayant eu un switch isotypique Th2.
La physiopathologie de l’eczéma atopique et de l’asthme sont résumées ci-dessous. Ces maladies comportent de nombreux points communs. Il s’agit de maladies auto-inflammatoires, à orientation Th2, touchant particulièrement les pays développés, notamment en réponse aux expositions environnementales.
Éléments de physiopathologie de l’eczéma atopique
Un grand nombre de mécanismes sont impliqués dans l’eczéma atopique et sa physiopathologie est très hétérogène. De façon résumée, l’eczéma atopique est caractérisé par une activation importante de la voie Th2, d’une part génétique, et d’autre part faisant suite à une altération de la barrière cutanée, notamment de sa couche la plus superficielle : le stratum corneum. En effet, certains aspects génétiques (e.g., déficit endogène en filaggrine, en LEKTI) entraînent une altération innée du stratum corneum. Mais surtout, de nombreux mécanismes acquis, liés à l’exposition environnementale dans les pays développés (pollution de l’air, dureté de l’eau importante, irritants cutanés au sens large comme la laine ou le savon etc…) entraînent une altération acquise du stratum corneum. Par suite, en réponse à cette altération, des alarmines vont être sécrétés par les kératinocytes (IL33 et TSLP pour les principales), ce qui va recruter des cellules innées lymphoïdes 2 (ILC2) qui vont sécréter de l’IL4 et l’IL13, initiant ainsi la cascade Th2 de l’eczéma. Cela va ensuite recruter des lymphocytes T-CD4+ Th2, qui vont également sécréter de l’IL4 et de l’IL13, mais également de l’IL31 ainsi que de l’IL5. Cette dernière cytokine va attirer des polynucléaires éosinophiles. Les cellules de Langerhans (macrophages intra-épidermiques) vont également s’activer, et augmenter la porosité de la barrière épidermique. De plus, les lymphocytes T-CD4+ Th2 vont provoquer un switch isotypique des lymphocytes B en les faisant sécréter des IgE. A noter qu’en phase tardive, il existe une activation de la voie Th22 et à un moindre degré Th17, mal comprise.
Éléments de physiopathologie de l’asthme sévère
A l’instar de l’eczéma atopique, un grand nombre de mécanismes sont impliqués dans l’asthme sévère et sa physiopathologie est hétérogène. Ainsi, l’asthme est partiellement causé par certaines prédispositions génétiques particulières entrainant une activation constitutionnelle de la voie Th2. Néanmoins, il est surtout lié à des expositions environnementales majeures, en particulier dans les pays développés. Il existe également une barrière épithéliale bronchique « altérée », mais également une réponse inflammatoire trop importante en réponse à certaines « agressions », notamment les allergènes, la pollution environnementale, etc… Ainsi, les mêmes alarmines, notamment l’IL33, l’IL25 et le TSLP vont être relarguées. Elles vont également attirer les ILC2, très impliquées, qui vont sécréter de IL4 et IL13 et recruter les lymphocytes Th2 qui vont également sécréter de l’IL5. Les alarmines activent également les mastocytes, résultant en une hyperactivité bronchique. Par ailleurs, ces mastocytes, cellules effectrices importantes dans l’asthme, infiltrent anormalement le muscle lisse bronchique dans l’asthme. Ils relarguent des médicateurs constrictifs, notamment l’histamine ainsi que des leucotriènes. Le muscle lisse respiratoire est également remodelé par ces mêmes cytokines, notamment l’IL5 et IL13. Il est hypertrophique et cause une hypercontractilité avec bronchospasme. L’hyperréactivité bronchique, clé de la physiopathologie de l’asthme, résulte de l’hypercontractilité du muscle lisse respiratoire avec une sensibilité accrue aux médicateurs bronchocontrictifs relargués par les mastocytes et les polynucléaires éosinophiles en lien avec une inflammation.
Médicaments existants
Les principaux médicaments existants sont les suivants :
- Dupilumab (DUPIXENT®) : anticorps monoclonal humanisé de type IgG4 dirigé contre la sous unité commune au récepteur de l’IL4 et l’IL13 (IL4Rα),
- Tralokinumab (ADTRAZLA®) : anticorps monoclonal humanisé de type IgG4 dirigé contre l’IL13 et inhibibant donc sa liaison au récepteur.
- Mepolizumab (NUCALA®) : anticorps monoclonal humanisé de type IgG1 dirigé contre l’IL5
- Benralizumab (FAZENRA®) : anticorps monoclonal humanisé de type IgG1 dirigé contre la sous unité alpha du récepteur de l’IL5 (IL5Ralpha).
- Omalizumab (XOLAIR®) : anticorps monoclonal humanisé de type IgG1 dirigé contre les IgE humaines.
Mécanismes d’action des différentes molécules
Ces biomédicaments permettent de neutraliser directement les cytokines (IL13 pour le tralokinumab, IL5 pour le mepolizumab) ou anticorps (IgE pour l’omalizumab), ou bien leur récepteur (récepteur de l’IL4 et IL13 pour le dupilumab, récepteur de l’IL5 pour le benralizumab). Leur efficacité thérapeutique dépend de leur capacité à neutraliser leur cible, au niveau plasmatique, mais également au niveau des zones de sécrétion paracrine où il existe une inflammation Th2 (e.g., la peau, les bronches, les sinus etc…). Pour l'omalizumab, la posologie dépendra du poids du patient (comme la plupart des anticorps monoclonaux) mais aussi de la concentration d'IgE à l'instauration du traitement (posologie plus élevée si IgE élevées).
Ces biomédicaments ciblant spécifiquement la voie Th2 sont tous des anticorps monoclonaux. Ces anticorps de lient de façon spécifique avec leur cible, avec une forte affinité, inhibant la liaison entre interleukine et récepteur. Par ailleurs, l’un d’entre eux (le benralizumab) exerce une action cytolytique sur les cellules ayant un récepteur de l’interleukine 5 (effet ADCC).
Effets utiles en clinique
Le blocage de la voie Th2 permet de lutter contre l’inflammation ainsi que ses conséquences à long terme (lichénification de la peau dans l’eczéma, remodelage bronchique dans l’asthme notamment)
L’efficacité clinique est validée dans la plupart des cas dans des essais contrôlés randomisés de phase III avec des scores cliniques rendant compte de l’activité de la maladie, qui sont notamment le score EASI pour l’eczéma atopique (Eczema activity severity index) ou nombres d’exacerbations bronchiques pour l’asthme.
Les principales indications sont présentées dans le tableau ci-dessous.
Tableau : Indications ayant une AMM
Eczéma atopique |
Urticaire chronique. |
Asthme |
Polypose naso-sinusienne. |
SHE lymphoïde |
GEPA. |
|
Dupilumab |
X |
X |
X |
|||
Tralokinumab |
X |
|||||
Omalizumab |
X |
X |
X |
|||
Mepolizumab |
X |
X |
X |
X |
||
Benralizumab |
X |
X |
GEPA : Granulomatose éosinophilique avec polyangéite ; SHE : Syndrome Hyperéosinophilique
Futures indications probables et principales indications hors AMM
Dupilumab
- Pemphigoïde bulleuse (phase III en cours)
- Prurigo nodulaire (phase III en cours)
Nemolizumab (antagoniste de l’interleukine 31)
- Prurigo nodulaire (phase III en cours)
Benralizumab
- Granulomatose éosinophilique avec polyangéite (séries de cas rétrospectives)
- DRESS (séries de cas rétrospectives)
- Polypose naso-sinusienne (phase III publiée)
Omalizumab
- Pemphigoïde bulleuse (séries de cas rétrospectives)
- Allergies alimentaires (études prospectives)
Pharmacodynamie des effets utiles en clinique
Dans l’eczéma, de manière très simplifiée, l’activation de la voie Th2 conduit à la création de vésicules intra-épidermiques et à un prurit. Abroger cette voie via l’inhibition de l’IL4 et/ou IL13 ce qui conduit à une disparition de ces symptômes. En revanche, bien que présentes à des titres élevés chez les patients ayant un eczéma atopique, l’inhibition de l’IL5 via le mépolizumab n’améliore pas l’eczéma de même que l’inhibition des IgE totales. En effet, ces voies de signalisation se situent en aval de la création de la lésion d’eczéma. Elles expliquent néanmoins le lien avec les allergies alimentaires ainsi que l’asthme.
Ainsi, dans l’eczéma atopique, En bloquant la sous unité IL4Ralpha, le dupilumab inhibe les réponses IL4 et IL13 ainsi que le relargage de cytokines pro-inflammatoires, dont l’IL5 et, in fine, les IgE. Dans l’asthme, l’activation de la voie Th2 conduit à un remodelage chronique du tissu bronchique et à une hyperréactivité bronchique. Inhiber la voie Th2 inhibe ce remodelage des voies respiratoires de même que l’hyperréactivité bronchique.
Caractéristiques pharmacocinétiques utiles en clinique
Résorption
Ces traitements sont administrés par voie sous cutanée. La résorption est lente, la concentration maximale étant atteinte en environ 7 jours.
Distribution
Les anticorps monoclonaux ont une faible distribution tissulaire, avec un volume de distribution moyen entre 4 et 5L environ.
Élimination
L’élimination de ces biomédicaments échappe aux voies traditionnelles. En effet, elle n’est pas effectuée par voie hépatique et rénale et dépend principalement de mécanismes de clairance protéolytique (élimination lysosomale par le système réticulo-endothélial). A noter que la détermination de leur demi-vie dépend grandement des conditions expérimentales, certains d'entre eux étant sujets à des phénomènes non linéaires d'élimination par la cible (plus l'antigène est en quantité importante, plus vite l'anticorps se fixe dessus et est éliminé).
Leur principales caractéristiques pharmacocinétiques suivant le biomédicament sont présentées dans le tableau ci-dessous :
Tableau : Caractéristiques pharmacocinétiques
Biodisponibilité |
Demi-vie |
Tmax |
|
Dupilumab |
64% |
14 jours |
7 jours |
Tralokinumab |
76% |
22 jours |
8 jours |
Omalizumab |
62% |
24 - 26 jours |
8 jours |
Mepolizumab |
74-80% |
16 - 22 jours |
4-8 jours |
Benralizumab |
59% |
15 jours |
7 jours |
A noter qu’ils sont peu immunogènes et leur élimination dépend donc peu de mécanismes d’immunogénicité, à l’inverse des anticorps anti-TNFα.
Source de la variabilité de la réponse
Interactions médicamenteuses
Ces médicaments sont très peu sujets aux interactions médicamenteuses car ils ne sont pas éliminés par voie rénale ou hépatique, cf paragraphe précédent.
Facteurs prédictifs de réponse
Ces maladies inflammatoires sont très hétérogènes. Ainsi, il existe une hypothèse forte que plusieurs phénotypes/endotypes avec des profils de réponse au traitement différents coexistent au sein d’une même maladie. Néanmoins, il n’existe pour le moment aucun facteur prédictif clinique de réponse bien identifié, de même qu’aucun biomarqueur.
Immunogénicité
Les anticorps neutralisants sont retrouvés dans 1 à 2% des cas et seraient associés à des concentrations sanguines plus faibles et une diminution de l’efficacité.
Situations à risque ou déconseillées
Infections
D’un point de vue théorique, ces médicaments entraînent une prédisposition aux infections où la voie Th2 est activée, c’est-à-dire les infections parasitaires. Néanmoins, l’endémie parasitaire est très faible dans les pays développés, pays où sont principalement commercialisés ces médicaments onéreux. Ainsi, il n’y a pas de rapport d’infection sévère à certains parasites suite à l’administration de ces biomédicaments. A noter qu’il n’y a aucune recommandation quant au déparasitage systématique mais il est souvent réalisé en pratique pour l’ensemble de ces médicaments.
Vaccins vivants atténués
Il y a peu de données sur les vaccins vivants atténués chez les patients traités par dupilumab. Ainsi, même si le risque d’infection disséminée via l’inhibition de la voie Th2 est probablement très faible, ils restent contre-indiqués.
Cancers
Il n’existe pas de données solides sur les effets de ces traitements chez les patients atteints de cancer. En effet, cela constituait un critère d’exclusion des essais cliniques. Ces traitements doivent être évités chez les patients atteints de cancer. Par ailleurs, il existe des cas d’aggravation de mycosis fongoïde (lymphome T cutané épidermotrope) sous dupilumab
Grossesse et allaitement
Il y a très peu de données concernant ces thérapies chez les femmes enceintes. Ainsi, même si aucune alerte n’existe, et si les études pré-cliniques sont rassurantes, ils sont contre-indiquées pendant la grossesse ainsi que l’allaitement par mesure de prudence.
Effets indésirables
Leurs profils de sécurité sont généralement très favorables.
Les effets indésirables principaux sont détaillés dans le tableau ci-dessous. Les principaux effets indésirables sont en lien avec une activation paradoxale d’autres voie de signalisation immunologiques, notamment la voie Th17. Ces effets indésirables pourraient dépendre de l’indication du biomédicament. L'inhibition de la voie Th2 peut également (risque théorique ou avéré) favoriser l'infestation par des helminthes et l'apparition de maladies auto-immunes comme des lupus ou des vascularites). Comme pour la plupart des biomédicaments, des syndromes pseudo-grippaux après leur administration sont fréquents et peuvent survenir quelques jours après l'injection sous-cutanée (cf. Tmax des médicaments).
A noter que les réactions d’hypersensibilité sont rares. Ils correspondent principalement à une hypersensibilité immédiate à type d’anaphylaxie, et rarement à une hypersensibilité retardée, qui consiste plutôt en maladie sérique, à l’instar des anticorps chimériques comme le rituximab.
Tableau : Effets indésirables principaux suivant le biomédicament
Effet indésirable |
Mécanisme hypothétique |
|
Dupilumab |
Conjonctivite |
Activation de la voie Th17 en réponse à une colonisation par Demodex,suite à l’inhibition de la voie Th2 |
Exacerbation de dermatose tête et cou |
Activation de la voie Th17 en réponse à une colonisation par Malassezia furfur, suite à l’inhibition de la voie Th2 |
|
Psoriasis pustuleux |
Activation de la voie Th17 en raison d’altération de la barrière cutanée, suite à l’inhibition de la voie Th2 |
|
Arthrite/arthralgies inflammatoires |
Activation de la voie Th17 suite à l’inhibition de la voie Th2 |
|
Hyperéosinophilie |
Sécrétion paradoxale d’interleukine 5 en réponse à l’inhibition de l’interleukine 4 et 13 et/ou démargination des éosinophiles tissulaires |
|
Tralokinumab |
Idem dupilumab avec moindre fréquence rapportée pour les conjonctivites |
|
Mepolizumab |
Céphalées |
Inconnu |
Pharyngite |
Inconnu |
|
Benralizumab |
Céphalées |
Inconnu |
Anaphylaxie |
Sensibilisation contre le fragment Fc |
|
Omalizumab |
Anaphylaxie |
Sensibilisation contre le fragment Fc |
Surveillance des effets
Dosage
Leur suivi thérapeutique pharmacologique n'est pas nécessaire, la relation concentration-effet de ces médicaments reste mal définie.
Effets indésirables
Un suivi clinique des effets indésirables est fortement recommandé (cf tableau). A l’inverse, aucune surveillance biologique n’est nécessaire à titre systématique. Néanmoins, certaines anomalies biologiques sont fréquentes. Elles peuvent en partie refléter l’observance, notamment pour le dupilumab où l’hyperéosinophilie est fréquente, ou pour les anti-IL5, ou l’éosinopénie est systématique.