Carbamazépine (sauf comme régulateur de l'humeur)
Résumé de la fiche
La carbamazépine est un des quatre principaux anti-épileptiques de la première génération. Il a été pendant longtemps le médicament de choix des épilepsies partielles. Son action anti-épileptique s’explique par sa capacité à bloquer les canaux sodiques voltage-dépendants des neurones hyperactifs.
Ce mécanisme d’action rend également compte de son indication dans le traitement des douleurs neurogènes ou des troubles bipolaires.
Sur le plan pharmacocinétique, la carbamazépine, fortement métabolisée par le foie, induit son propre métabolisme. Cette propriété d’inducteur enzymatique explique également de nombreuses interactions médicamenteuses, en particulier avec les oestro-progestatifs.
Les troubles du rythme et/ou de la conduction cardiaque, des réactions cutanées ainsi que les anomalies de la moëlle osseuse doivent faire sursoir à l’utilisation de la carbamazépine.
Item(s) ECN
72 : Prescription et surveillance des psychotropes103 : Épilepsie de l'enfant et de l'adulte
326 : Prescription et surveillance des classes de médicaments les plus courantes chez l’adulte et chez l’enfant
Médicaments existants
Carbamazepine per os
Mécanismes d’action des différentes molécules
L’activité anti-épileptique de la carbamazépine s’explique par son action sur l’excitabilité membranaire, plus particulièrement par une action au niveau des canaux sodiques voltages dépendants dont l’activation est nécessaire à la genèse du potentiel d’action.
La carbamazépine agit en prolongeant l’état d’inactivation des canaux sodiques qui suit leur activation, augmentant ainsi la période réfractaire, sans altérer le potentiel d’action initial. L’action de la carbamazépine est «use-dependant», c'est-à-dire qu’elle bloque préférentiellement les canaux sodiques activés: plus le neurone se dépolarise de manière répétitive et à haute fréquence, plus la carbamazépine est efficace. Cette caractéristique est très intéressante dans le cas de l’épilepsie puisque dans cette pathologie, on observe une hyperexcitabilité des neurones.
Effets utiles en clinique
La carbamazépine (CBZ) possède un large spectre d'activité antiépileptique s'étendant des crises partielles aux crises secondairement généralisées. C'est un médicament de choix dans le traitement des épilepsies partielles, en raison de son efficacité et de l'absence de perturbation des fonctions cognitives lors des traitements au long cours. Toutefois, à cause du risque d'intéractions médicamenteuses sous traitement par CBZ, cette dernière est moins souvent prescrite en première intention dans cette indication.
Par ailleurs, la CBZ est deconseillée dans les épilepsies généralisées idiopathiques, car elle peut aggraver les absences typiques et les myoclonies.
Elle peut être également utilisée dans le traitement des douleurs neurogènes : névralgie du nerf trijumeau, névralgie du nerf glossopharynx, douleurs neurogènes associées à des maladies neurologiques (la sclérose en plaques) ou par déafférentation (douleur post-traumatique).
La carbamazépine peut être utilisée comme régulateur de l’humeur, pour prévenir la récidive des épisodes dépressif ou maniaques dans les troubles bipolaires.
Pharmacodynamie des effets utiles en clinique
L’utilisation thérapeutique de la carbamazépine résulte de sa capacité pharmacodynamique à diminuer l’hyperexcitabilité neuronale, mécanisme physiopathologique commun impliqué dans l’épilepsie, les douleurs neurogènes et les troubles bipolaires.
Les crises partielles sont réputées plus sensibles à la carbamazépine, même si cette sensibilité comme d’ailleurs le risque d’aggravation des absences, s’expliquent mal du point de vue pharmacodynamique.
Si une majorité des patients présentant une épilepsie sensible à la carbamazépine répondent en général au traitement, une fraction (environ 20 à 30%) non négligeable de patients sont susceptibles d’être resistants à la carbamazépine.
Caractéristiques pharmacocinétiques utiles en clinique
Absorption
L’absorption est lente et irrégulière, avec un effet de premier passage hépatique très important qui aboutit à la synthèse d’un métabolite primaire également actif : la carbamazépine 10,11-époxyde.
Distribution
La carbamazépine est très bien distribuée dans l’organisme et se lie de façon importante aux protéines plasmatiques (80%).
Métabolisation
Fortement métabolisée, la carbamazépine induit son propre métabolisme avec par conséquence une demi-vie plasmatique qui peut être considérablement diminuée après une administration répétée. Par ailleurs, le métabolisme de la carbamazépine est affecté par l’utilisation concomitante de médicaments inducteurs ou inhibiteurs enzymatiques. Enfin, la carbamazépine est elle-même un puissant inducteur enzymatique, qui modifie le métabolisme de nombreux médicaments, en particulier d’autres anti-épileptiques.
Excrétion
La carbamazépine est préférentiellement excrétée dans les urines sous forme de métabolites, avec une demi-vie comprise entre 8 et 24h. L’élimination serait plus rapide chez l’enfant, avec une accumulation possible du métabolite actif qui peut être plus importante que chez l’adulte.
Source de la variabilité de la réponse
La principale source de variation de la réponse est expliquée par la modification des concentrations plasmatiques de carbamazépine en raison d’interactions médicamenteuses :
- avec l’acétalozolamide : augmentation des concentrations plasmatiques de carbamazépine avec signes de surdosage (précaution d’emploi)
- avec les autres agents anti-épileptiques qui conduit soit à une augmentation des concentrations plasmatiques de la carbamazépine (inhibition enzymatique) soit à une diminution de la concentration plasmatique de carbamazépine (induction). L’inhibition enzymatique, en raison des risques de toxicité, est à l’origine d’une précaution d’emploi avec surveillance clinique, dosage plasmatique et adaptation éventuelle des posologies des deux anti-épileptiques associés.
- avec un antidépresseur imipraminique : risque de survenue de crises convulsives généralisées par baisse du seuil épileptogène
- avec la fluoxétine et la fluvoxamine, et par extension avec les antidépresseurs inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine : augmentation des concentrations plasmatiques de carbamazépine avec risque de surdosage
- avec la cimétidine à plus de 800 mg/j, de même qu’avec la clarithromycine, la josamycine, le danazol, le dextropropoxyphène, l’érythromycine, l’isoniazide et la rifampicine (inhibiteurs enzymatiques), possible augmentation des concentrations plasmatiques de carbamazépine, expliquant une précaution d’emploi avec surveillance clinique et adaptation de la posologie de la carbamazépine si nécessaire.
- avec la viloxazine : d’une part la viloxazine baisse le seuil épileptogène et d’autre part elle inhibe le métabolisme de la carbamazépine avec par conséquence une augmentation des concentrations plasmatiques de carbamazépine et risque de surdosage. L’adaptation posologique peut donc être nécessaire pendant toute la durée du traitement par viloxazine (précaution d’emploi).
Situations à risque ou déconseillées
La carbamazépine ne doit pas être prescrite aux patients présentant des problèmes de conduction cardiaque auriculo-ventriculaire ou d’anomalie de la moëlle osseuse. Elle doit être utilisée avec précaution chez les patients présentant des troubles hématologiques, cardiaques, hépatiques ou rénaux.
Les patients doivent être informés que toute fièvre, angine ou autre signe d’infection peut être la traduction clinique d’une atteinte de la lignée blanche, qui justifie un arrêt complet de la carbamazépine.
Précautions d’emploi
L’utilisation chez des patients à épilepsie mixte avec absences doit être réalisée avec précaution car la carbamazépine peut aggraver la fréquence de ces crises.
En raison de ses propriétés anticholinergiques, l’utilisation chez des patients porteurs de glaucome ou souffrant de rétention urinaire est déconseillée.
La carbamazépine diminue l’efficacité des contraceptifs oestro-progestatifs.
Des allergies croisées entre oxcarbazépine et carbamazépine sont rapportées, de même qu’avec les antiépileptiques arômatiques (phénobarbital, phénytoine, primidone).
Effets indésirables
Les risques les plus importants avec la carbamazépine sont :
- le risque cutané, qui peut être retrouvé avec d’autres molécules aromatiques telles que oxcarbazépine, phénobarbital, primidone, et phénytoine. Le risque d’hypersensibilité, qui associe à l’atteinte cutanée des atteintes systémiques, doit également être évoqué. Ce risque semble être, en grande partie, le résultat du métabolite de nature epoxyde.
- le risque hématologique, avec atteinte possible de toutes les lignées, justifie un arrêt immédiat de la molécule.
- le risque d’hyponatrémie, résultat d’un syndrome de sécrétion inappropriée d’ADH est fréquent mais le plus souvent modéré et asymptomatique. Il peut toutefois être sévère et la survenue de signes tels que confusion mentale, étourdissements, maux de tête, nausées, doivent. être recherchés.
- le risque de symptômes psychotiques, avec en particulier idées paranoïdes.
- le risque de lupus induit, lentement régressif à l’arrêt du traitement.
- le risque cardiaque, principalement représenté par le risque d’anomalies de la conduction.
Surveillance des effets
Les concentrations thérapeutiques plasmatiques de la carbamazépine sont habituellement comprises entre 4 à 10 µg/mL (soit entre 16 et 50 µmol/L) mais ces concentrations peuvent être sujettes à des variations interindividuelles importantes.
La surveillance des concentrations plasmatiques peut donc être nécessaire pour ajuster la posologie du traitement même si le critère de jugement de la réponse thérapeutique est avant tout clinique représenté par l’absence de crise.
En cas d’association de plusieurs anti-épileptiques, la surveillance est clinique, avec recours à la biologie en particulier dans une perspective de prévention d’un éventuel risque toxique.
Une surveillance régulière des paramètres hépatiques et hématologiques est nécessaire chez les patients traités au long cours par carbamazépine.