Risque des médicaments

Les points essentiels

DEFINITIONS

Un surdosage correspond à la prise (ou l’administration) de substances à une dose supérieure à celle pouvant être tolérée par l’organisme. Cette définition implique donc que le terme se réfère à des substances habituellement administrées à l’homme pour produire des effets souhaités, c'est-à-dire aux médicaments ou encore à l’alcool. Ainsi, la définition ne s’applique pas aux effets résultant de l’administration d’un poison, toujours toxique pour l’homme, et pour lequel il n’existe pas de dose pharmacologique. Le surdosage, qu’il soit accidentel ou volontaire, entraînera donc des effets exacerbés ou des effets toxiques.

Une intoxication correspond à la survenue de troubles des fonctions de l’organisme en réaction à l’absorption d’une substance étrangère, à dose toxique. Les troubles peuvent concerner l’ensemble de l’organisme ou un organe en particulier. Les intoxications sont d’origines variées : alimentaires, produits chimiques, poisons, tabac, alcool, médicaments.

Ces effets nocifs, qu’ils résultent d’un surdosage ou d’une intoxication, peuvent survenir après une prise unique ou répétée (ou réitérée) d’un médicament. Une prise massive unique et volontaire est communément appelée tentative d’autolyse. Dans les situations d’administration réitérée, c’est l’accumulation du médicament qui entraîne les effets nocifs.

La surdose ou l’overdose en anglais, est un terme utilisé spécifiquement dans les cas d’intoxications aigües ou mortelles causées par l’ingestion ou l’injection d’un produit stupéfiant ou d’un médicament psychotrope. On parle par exemple d’overdose à la cocaïne ou à l’héroïne.

SITUATIONS POUVANT ENTRAINER UN SURDOSAGE OU UNE INTOXICATION

Plusieurs situations peuvent engendrer un surdosage ou une intoxication. Si l’on omet les actes volontaires, les surdosages et les intoxications peuvent être la conséquence soit d’une erreur humaine ou liée au matériel, soit d’une situation aboutissant à une augmentation de la concentration du médicament dans l’organisme ; dans ce cas, on parlera de surexposition.

1- Les erreurs d’origine humaine ou liées au matériel

Elles peuvent survenir à chaque étape allant de la prescription à l’administration du médicament. Ainsi, toute rédaction d’ordonnance peut faire l’objet d’une erreur (de médicament, de posologie, de durée de traitement,…), auxquelles peuvent s’ajouter des erreurs de préparation (dilution d’une solution injectable,…), des erreurs de délivrance (erreur de lecture de l’ordonnance,…), des erreurs d’administration (mauvais respect des consignes de posologie ou d’horaires,…).

Ainsi, aux erreurs de prescription proprement dites viennent donc s’ajouter des mentions incomplètes indispensables à la dispensation, à l’utilisation ou à la préparation des médicaments.

Cela concerne :

- La nature du médicament prescrit : erreur sur le nom de la spécialité ou confusion entre deux spécialités qui se ressemblent (le LAMISIL® / terbinafine médicament utilisé en dermatologie pour les onychomycoses et le LAMICTAL® / lamotrigine antiépileptique)

- La difficulté ou impossibilité pour le pharmacien ou l’infirmièr(e) de relire la prescription

- Une erreur sur les renseignements concernant le patient : l’âge et le poids du patient, particulièrement s’il s’agit d’un enfant ; le calcul de la dose ou de la posologie ; le rythme d’administration

- Une erreur de décimale ou d’unité dans le calcul de la dose (µg et mg)

- L’expression des posologies par surface corporelle (en cancérologie) ou par poids (antibiotiques, antifongiques surtout en pédiatrie)

- Un dysfonctionnement du dispositif de distribution ou de dispensation

- Un mauvais rangement de l’armoire à pharmacie

- Une confusion entre deux ampoules qui se ressemblent

- Un mauvais fonctionnement dans le système d’administration du produit : mauvais débit de perfusion ou de la seringue électrique

Il est possible d’éviter ou de diminuer de telles erreurs en respectant :

- Les règles générales de bonne prescription (écrire lisiblement sans rature, la voie d’administration, la posologie …)

- Une bonne communication entre les différentes personnes au contact du ou des médicaments

- Une informatisation de la prescription, avec une aide au calcul de dose et signalisation d’interactions médicamenteuses…

Les erreurs sont d’autant plus graves que la marge thérapeutique du médicament est faible et qu’elles surviennent chez des sujets plus sensibles comme les enfants ou les sujets âgés.

2- Les situations aboutissant à une augmentation de la concentration du médicament dans l’organisme

Elles correspondent aux modifications des paramètres pharmacocinétiques chez le patient (voir le chapitre : Source de variabilité de la réponse au médicament / variabilité pharmacocinétique).

L’administration d’un médicament est habituellement suivie des phases d’absorption, de distribution, de métabolisme puis d’élimination. Certaines situations physiologiques, pathologiques ou environnementales (voir le chapitre : Interactions médicamenteuses) peuvent entraîner des modifications de ces étapes, alors même que la dose est « normale », pouvant aboutir à des augmentations de la concentration sanguine et engendrer des effets exacerbés voire toxiques.

Dans certains cas, la modification des paramètres pharmacocinétiques ne dépend pas du sujet lui-même, mais de la non-linéarité des processus pharmacocinétiques, c'est-à-dire d’un comportement pharmacocinétique différent de la normale du fait de l’administration d’une dose très élevée. Dans ce cas, les processus pharmacocinétiques habituels pour le médicament sont modifiés. L’origine de ces modifications repose souvent sur la saturation de l’un des processus contrôlant le devenir du médicament dans l’organisme. L’étude descriptive et quantitative du devenir des toxiques ou des médicaments administrés  à doses supra-thérapeutiques est appelée la toxicocinétique.

Les populations les plus exposées aux surdosages et aux intoxications sont les enfants et les personnes âgées. En effet, ces deux groupes cumulent les facteurs de risque cités ci-dessus :

-Risque élevé d’erreurs d’administration : Absence de formes galéniques adaptées à l’enfant imposant une préparation extemporanée des médicaments (formes orales ou injectables) ; mauvaise vue ou troubles cognitifs chez les sujets âgés, multiplicité des médicaments favorisant les prises répétées (ou les oublis).

- Modifications pharmacocinétiques : Immaturité métabolique et rénale du nouveau-né, altération des fonctions d’élimination chez le sujet âgé, multiplicité des médicaments favorisant le risque d’interactions médicamenteuses.

 

PRISE EN CHARGE DES SURDOSAGES  ET DES INTOXICATIONS

La prise en charge des surdosages ou des intoxications repose sur deux grands types de mesures :

-L’arrêt, temporaire ou définitif, du médicament incriminé associé au suivi des paramètres cliniques et/ou biologiques correspondants (INR, concentration sanguine du médicament,…)

-La lutte contre les effets toxiques, soit en favorisant l’élimination ou en réduisant l’absorption de la substance, soit en s’opposant à ses effets sur l’organisme. On parle alors de traitement spécifique, qui repose sur l’utilisation d’antidotes.

Dans tous les cas, il conviendra d’apprécier les conséquences cliniques du surdosage : si le surdosage est peu grave, le simple arrêt du médicament jusqu’à élimination complète est souvent suffisante. Dans quelques cas, il est justifié de favoriser l’élimination systémique par dialyse ou utilisation de médicaments favorisant l’élimination urinaire de la substance incriminée. Si le surdosage ou l’intoxication est grave, outre l’arrêt immédiat du médicament, il est parfois indispensable d’utiliser des antidotes, s’il en existe.

Un antidote est un véritable médicament dont l’action spécifique a pu être établie chez l’animal et chez l’homme. Les antidotes sont capables soit de modifier la cinétique du toxique, soit d’en diminuer les effets au niveau des récepteurs ou des cibles spécifiques. Leur utilisation améliore le pronostic vital ou fonctionnel de l’intoxication. Ils sont classés en trois catégories selon leur mécanisme d’action.

Tableau : Principaux antidotes (liste non exhaustive)

Médicaments ou toxiques antidotes Mode d’action de l’antidote
AINS, antidépresseurs, méprobamate, iode, cocaïne, paracétamol, sulfamides, acide valproïque, amphétamines… Charbon activé

Action toxicocinétique

Diminution de la biodisponibilité du médicament ou toxique dans l’organisme

Paracétamol N-acétylcystéine

Action toxicocinétique

Précurseur du glutathion

Neutralisation du métabolisme hépatique toxique du paracétamol

Anticholinergique (belladone, scopolamine) Sulfate de physostigmine

Action pharmacodynamique

Inhibiteur réversibles des cholnestérases

Bétabloquants Atropine, isoprotérénol, glucagon

Action pharmacodynamique

Le glucagon active l'adénylcyclase myocardique, stimule la synthèse d'AMP cyclique et augmente la contractilité et le rythme cardiaque.

Inhibiteurs des cholinestérases Pralidoxime

Action pharmacodynamique

Réactivateur enzymatique des cholinestérases

Benzodiazépines Flumazénil

Action pharmacodynamique

Antagoniste spécifique compétitif des récepteurs aux benzodiazépines

Neuroleptiques Dantrolène

Action pharmacodynamique

Inhibition du relargage massif du calcium dans le réticulum sarcoplasmique provoqué par les neuroleptiques.

Cyanures Hydroxocobalamine , Thiosulfate de sodium

Action toxicocinétique

Neutralisation du toxique par formation de complexe (cyanocobalamine) éliminé par les urines.

Digoxine, digitaline Anticorps antigitalique

Action toxicocinétique et pharmacodynamique

Fragments Fab d’anticorps antidigitaliques qui neutralisent le toxique

Digoxine, digitaline EDTA sodique

Action pharmacodynamique

Chélateur du calcium s’opposant aux effets contractiles des digitaliques sur le myocarde

Éthylène glycol fomepizole

Action toxicocinétique

Neutralisation du métabolisme hépatique toxique. Inhibiteurs compétitif de l’alcool déshydrogénase.

Fer Mesylate de deferoxamine, Defepirone

Action toxicocinétique

Neutralisation par formation de complexe inactif dans le compartiment sanguin, favorise l’élimination du toxique.

Isoniazide Pyridoxine (vitamine B6)

Action pharmacodynamique

Diminution des risques de neuropathies induites par l’isoniazide.

Métal lourd (Pb, Hg, Ni, As ou Cd) Chélateurs (EDTA, BAL),pénicillamine et  acide 2.3dimercaptosuccinique (DMSA, succimer)

Action toxicocinétique

Neutralisation par formation de complexe inactif dans le compartiment sanguin

Méthanol Éthanol ou fomepizole

Action toxicocinétique

Neutralisation du métabolisme hépatique toxique. Inhibiteurs compétitifs de l’alcool déshydrogénase.

Méthémoglobinémie

(nitrites, chlorates, metoclopramide, lidocaine…)

Bleu de méthylène

Traitement spécifique

Oxydoréducteur permettant la réduction en méthémoglobine en hémoglobine. Il active un les mécanismes intra-érythocytaires de réduction de la méthémoglobine. Il s’agit de la voie accessoire NADPH dépendante. Cette voie n’existe pas chez les patients déficients en G-6PD.

Opiacés Naloxone

Action pharmacodynamique

Antagoniste spécifique des récepteurs aux opiacés, sans effet agoniste (sans effet dépresseurs des opiacés)

Opiacés Nalorphine

Action pharmacodynamique

Agoniste - antagoniste spécifiques et compétitives des récepteurs aux opiacés, (avec effet dépresseurs des opiacés)

Monoxyde de carbone Oxygène

Traitement spécifique

Déplacement du monoxyde de carbone de l’hémoglobine

Thallium, Cesium Bleu de Prusse (ferrocyanure ferrique

Action toxicocinétique

Neutralisation par formation de complexe inactif dans le compartiment sanguin.

Warfarine Vitamine K,  plasma  frais congelé , PPSB

Traitement spécifique

Action en aval du site d’action et corrige les conséquences métaboliques

Les antidotes d’action toxicocinétique

Parmi les antidotes d’action toxicocinétique on retrouve les médicaments limitant la biodisponibilité du médicament (charbon activé), les antidotes favorisant l’élimination du médicament sous formes inchangé ou neutralisé (chélateurs, immunothérapie), les antidotes favorisant la métabolisation ou la détoxification (N-acétylcystéine dans le surdosage en paracétamol).

Les antidotes d’action pharmacodynamique

Ces substances ont la possibilité de déplacer le médicament toxique de son récepteur. Ce sont des antagonistes spécifiques comme le flumazénil (antagoniste des benzodiazépines) ou la naltrexone (antagoniste des morphiniques). D’autres médicament contrecarrent l’effet du toxique (ex. glucagon vis-à-vis des manifestations cardiovasculaires du surdosage aux bétabloquants) ou réactivent les récepteurs enzymatiques (ex. pralidoxime et intoxications aux insecticides organophosphorés anticholinestérasiques).

Les antidotes visant à rétablir les équilibres biologiques ou à traiter les symptômes cliniques du surdosage. C’est ainsi que l’on administre du glucose en cas de surdosage aux hypoglycémiants ou du complexe prothrombinique humain (PPSB) en cas de surdosage en AVK.

L’utilisation d’antidotes n’est pas systématique lors d’un surdosage. Au contraire, une utilisation sans précaution d’antidote peut contribuer à l’aggravation de l’état général du patient (ex : l’utilisation de naltrexone chez un sujet toxicomane peut faire apparaître des signes de sevrage aigu, de même qu’une utilisation de flumazénil lors d’une intoxication polymédicamenteuse peut faire apparaitre des convulsions). Les antidotes sont utiles en urgence dans les premières heures d’une intoxication potentiellement grave par un toxique lésionnel alors que les signes cliniques sont absents (paracétamol) ou peuvent être utilisés comme aide au diagnostic de troubles neuropsychiques ou pour lever une dépression respiratoire aigue (flumazénil ou naltrexone).

ROLE DU LABORATOIRE BIOLOGIQUE

Le rôle du laboratoire lors d’un surdosage ou d’une intoxication se situe entre le suivi thérapeutique pharmacologique (adaptation de posologie) et le suivi toxicocinétique (suivi de l’élimination du médicament ou du toxique).

Lorsque c’est possible, la mesure des concentrations sanguines du médicament (voir chapitre : dosages de médicaments) permettent d’adapter la posologie du médicament en fonction des paramètres pharmacocinétiques du patient (par exemple la clairance à la créatinine), de calculer de dose d’antidote à administrer (surdosage en digoxine) ainsi que de suivre l’évolution de l’élimination du toxique dans le temps.