L’entrée et la progression dans le cycle cellulaire (et par conséquent la prolifération cellulaire) dépendent de la présence de signaux qu’induisent l’activation de protéines kinases qui vont activer leurs cibles à travers leur phosphorylation. Le génome humain contient quelques 550 kinases (ainsi que 130 phosphatases) qui régulent l'activité de plusieurs protéines impliquées dans la prolifération et la survie cellulaire, les processus de migration et d’invasion ainsi que l’angiogenèse.
L’inhibition des protéines kinases est devenue, tout naturellement, l’un des premiers choix dans le développement des stratégies ciblées pour les maladies néoplasiques.
La plupart des kinases sont des protéines intracellulaires mais certaines sont des récepteurs membranaires avec des domaines de liaison extracellulaire et intracellulaires. Outre leur rôle bien décrit dans la prolifération cellulaire, d'autres éléments ont contribué à faire de ces enzymes des cibles médicamenteuses privilégiées:
L’imatinib a été le premier inhibiteur de kinase à avoir eu l’autorisation de mise sur le marché en 2001. Il cible la protéine recombinante Bcr-Abl responsable du phénotype tumoral dans la leucémie myéloïde chronique (LMC) et la leucémie aiguë lymphoblastique (LAL). Par la suite, plusieurs médicaments ciblant la protéine Bcr-Abl ont vu le jour. Le nombre d’inhibiteurs de tyrosine kinases (ITK) en premier lieu et d'inhibiteurs de serine-thréonine kinase (ISTK) ensuite, est en constante augmentation depuis une quinzaine d’années.
La majorité des inhibiteurs de kinases approuvés à ce jour sont des inhibiteurs réversibles, mais certains inhibiteurs peuvent se fixer de manière covalente à leur cible (exemple: ibrutinib).
Tableau 1. Inhibiteurs de protéine kinase classées par cibles et indications (liste non exhaustive).
Les IPK sont administrés par voie orale avec une intensité et un délai d'absorption variable d'une molécule à une autre. La plupart des molécules présentent cependant un Tmax moyen compris entre 2h et 4h.
La biodisponibilité est également très différente entre les molécules allant de 3 % (ibrutinib) à presque 100 % (imatinib). La plupart sont cependant bien absorbée même si certaines molécules n’ont pas eu leur biodisponibilité étudiée chez l’homme. Une prise alimentaire concomitante peut modifier la pharmacocinétique de ces médicaments et l'indication de prise pendant ou en dehors des repas est très souvent renseignée dans la monographie afin de réduire les variabilités intra/interindividuelles et améliorer la tolérance digestive.
Les IPK sont généralement bien distribués dans les tissus, y compris dans les tissus cancéreux, avec des volumes de distribution allant globalement de 200 à plus de 10000 L, même si certaines molécules ont des volumes apparents plus faible.
Toutes les molécules décrites dans le tableau sont fixées à plus de 85 % aux protéines plasmatiques (essentiellement l’albumine et l’alphaglycoprotéine), avec de très fortes fixations rapportées pour certaines (> 99 %). Il est alors possible dans les cas où la quantité d’alphaglycoprotéine est augmentée que l’exposition aux ITK soit altérée. Cette protéine a ainsi été décrite comme cofacteur de l’exposition à l’imatinib.
La majorité des IPK est métabolisée en premier lieu par le CYP3A4, à l’exception de l'afatinib, de l'idelalisib et du tramétinib. D’autres enzymes peuvent être impliquées, mais à des degrés plus mineurs. Les métabolites actifs représentent souvent moins de 20 % de la quantité de la molécule mère.
Les IPK et leurs métabolites sont excrétés principalement par voie biliaire et seulement une faible fraction de ces composés est éliminée par voie urinaire (<20 % dans les urines).
Les demi-vies sont très variables allant de quelques heures pour le dasatinib à presque 20j pour la vandetanib. Cependant, ces molécules sont souvent administrées en 1 ou 2 fois/j.
Tableau 2. Principales caractéristiques pharmacocinétiques des IPK.
Divers facteurs peuvent être à l’origine d'une variabilité de la réponse et de problèmes d’inefficacité des IPK :
La variabilité pharmacodynamique est liée à des mécanismes de résistance se rapprochant des processus oncogéniques des tyrosine kinases, avec entre autres des mutations ou des surexpressions de la cible.
Les mutations sont communes et apparaissent fréquemment dans les cellules cancéreuses se divisant rapidement, étant à l’origine pour des tyrosine kinases initialement non oncogéniques de modifications les entraînant vers une dérégulation. Ces mutations primaires, ainsi que des mutations secondaires apparues en cours de traitement, sont un mécanisme commun de résistance aux IPK. Les mutations les plus fréquentes sont celles qui diminuent l’affinité de la molécule pour le domaine kinase de la cible, maintenant alors son activité catalytique.
Dans certains cas, les IPK entraînent une pression de sélection qui engendre une amplification du gène cible, mais sans mutation nécessairement associée. Les cellules passent à un stade de « stress oncogénique », entraînant une production importante de protéines, ce qui modifie l’équilibre cible-inhibiteur. Une augmentation de dose peut suffire à restaurer la réponse au traitement.
Parmi les gènes qui sont souvent atteints par cette altération se trouvent ceux qui sont impliqués dans le contrôle de la voie de signalisation MAPK. Ce phénomène de délétion se retrouve fréquemment au niveau de gènes codant pour des micros ARN (miARN).
L'échappement des cellules cancéreuses aux IPK passe également par la surexpression ou la répression de gènes qui maintiennent la viabilité cellulaire. La surexpression de Bcr-Abl est ainsi associée à des phénomènes de résistance à l'imatinib. Ce type de résistance n’implique pas nécessairement d’altération génétique, mais change le niveau d’expression du gène, en raison d’un stress micro-environnemental ou de phénomènes épigénétiques.
Certaines cellules sont capables de compenser le manque de signal dû à l’inhibition de la cible en activant des voies de signalisation alternatives. Par exemple, la famille des récepteurs à l’EGF est capable de développer un mécanisme de résistance en modifiant l’expression de certains effecteurs en aval. De même, une résistance aux inhibiteurs de BRAF est possible via l'activation de voies annexes impliquées dans la prolifération cellulaire.
Les IPK possèdent un profil pharmacocinétique que l’on peut qualifier de favorable, puisque la plupart ont une absorption rapide et une biodisponibilité correcte. Pourtant, toutes ces molécules présentent des caractéristiques pharmacocinétiques susceptibles de varier au cours du temps et entre les individus : les IPK sont généralement administrés par voie orale et le CYP3A4 est majoritairement en charge de leur métabolisme. Dans les différentes séries publiées, sur les IPK (sauf phase I ou études de moins de 50 sujets), les variations interindividuelles relevées sont au moins de 40 %.
Les raisons de ces variations de concentration plasmatique ne sont pas complètement élucidées, mais impliquent probablement :
Il en résulte des coefficients de variation très élevés (9 à 221% pour certaines molécules) avec un risque d'inefficacité ou de toxicité. Malgré cette variabilité pharmacocinétique importante, ces molécules sont largement prescrites à des doses initiales identiques pour tous les patients à l'exception de certaines situations particulières (insuffisances rénale ou hépatique...). A ce jour, un certain nombre d'IPK (inhibiteurs de CDK4/6, inhibiteurs de PARP) ont fait l'objet d'étude pharmacocinétiques établissant un intérêt du suivi thérapeutique pharmacologique dans ce contexte.
Malgré leur action privilégiée sur les cellules cancéreuses, les IPK ne sont pas dénués d'effets indésirables. Ils peuvent être regroupés en deux grandes catégories:
Ces effets indésirables peuvent se manifester dans de nombreux organes et tissus différents. Ils peuvent être gradés selon leur niveau de gravité (Grade 1 à 5), ce qui orientera leur prise charge clinique (pouvant aller jusqu'à l'arrêt du traitement). Parmi les pricipales atteintes, il est possible de citer:
Figure. Exemples d'effets indésirables observés avec les IPK.