Inhibiteurs de Protéines Kinases
Résumé de la fiche
L’entrée et la progression dans le cycle cellulaire (et par conséquent la prolifération cellulaire) dépendent de la présence de signaux qu’induisent l’activation de protéines kinases qui vont activer leurs cibles à travers leur phosphorylation. Le génome humain contient quelques 550 kinases (ainsi que 130 phosphatases) qui régulent l'activité de plusieurs protéines impliquées dans la prolifération et la survie cellulaire, les processus de migration et d’invasion ainsi que l’angiogenèse.
L’inhibition des protéines kinases est devenue, tout naturellement, l’un des premiers choix dans le développement des stratégies ciblées pour les maladies néoplasiques.
Item(s) ECN
291: Traitements des cancers300: Tumeurs de l'estomac
306: Tumeurs du poumon, primitives et secondaires
312: Leucémies aiguës
314: Syndromes myéloprolifératifs
316: Lymphomes malins
326: Prescription et surveillance des classes de médicaments les plus courantes chez l’adulte et chez l’enfant
Rappel physiopathologique
La plupart des kinases sont des protéines intracellulaires mais certaines sont des récepteurs membranaires avec des domaines de liaison extracellulaire et intracellulaires. Outre leur rôle bien décrit dans la prolifération cellulaire, d'autres éléments ont contribué à faire de ces enzymes des cibles médicamenteuses privilégiées:
- Leur structure et en particulier celle du site de liaison de son substrat, l’ATP, est bien connue.
- La mise en oeuvre de tests in vitro et facilement automatisables pour mesurer l’inhibition de la phosphorylation permet d’analyser un très large nombre de molécules naturelles ou de synthèse et très rapidement.
L’imatinib a été le premier inhibiteur de kinase à avoir eu l’autorisation de mise sur le marché en 2001. Il cible la protéine recombinante Bcr-Abl responsable du phénotype tumoral dans la leucémie myéloïde chronique (LMC) et la leucémie aiguë lymphoblastique (LAL). Par la suite, plusieurs médicaments ciblant la protéine Bcr-Abl ont vu le jour. Le nombre d’inhibiteurs de tyrosine kinases (ITK) en premier lieu et d'inhibiteurs de serine-thréonine kinase (ISTK) ensuite, est en constante augmentation depuis une quinzaine d’années.
La majorité des inhibiteurs de kinases approuvés à ce jour sont des inhibiteurs réversibles, mais certains inhibiteurs peuvent se fixer de manière covalente à leur cible (exemple: ibrutinib).
Médicaments existants
Tableau 1. Inhibiteurs de protéine kinase classées par cibles et indications (liste non exhaustive).
Caractéristiques pharmacocinétiques utiles en clinique
Les IPK sont administrés par voie orale avec une intensité et un délai d'absorption variable d'une molécule à une autre. La plupart des molécules présentent cependant un Tmax moyen compris entre 2h et 4h.
La biodisponibilité est également très différente entre les molécules allant de 3 % (ibrutinib) à presque 100 % (imatinib). La plupart sont cependant bien absorbée même si certaines molécules n’ont pas eu leur biodisponibilité étudiée chez l’homme. Une prise alimentaire concomitante peut modifier la pharmacocinétique de ces médicaments et l'indication de prise pendant ou en dehors des repas est très souvent renseignée dans la monographie afin de réduire les variabilités intra/interindividuelles et améliorer la tolérance digestive.
Distribution des IPK
Les IPK sont généralement bien distribués dans les tissus, y compris dans les tissus cancéreux, avec des volumes de distribution allant globalement de 200 à plus de 10000 L, même si certaines molécules ont des volumes apparents plus faible.
Toutes les molécules décrites dans le tableau sont fixées à plus de 85 % aux protéines plasmatiques (essentiellement l’albumine et l’alphaglycoprotéine), avec de très fortes fixations rapportées pour certaines (> 99 %). Il est alors possible dans les cas où la quantité d’alphaglycoprotéine est augmentée que l’exposition aux ITK soit altérée. Cette protéine a ainsi été décrite comme cofacteur de l’exposition à l’imatinib.
Métabolisme des IPK
La majorité des IPK est métabolisée en premier lieu par le CYP3A4, à l’exception de l'afatinib, de l'idelalisib et du tramétinib. D’autres enzymes peuvent être impliquées, mais à des degrés plus mineurs. Les métabolites actifs représentent souvent moins de 20 % de la quantité de la molécule mère.
Élimination des IPK
Les IPK et leurs métabolites sont excrétés principalement par voie biliaire et seulement une faible fraction de ces composés est éliminée par voie urinaire (<20 % dans les urines).
Les demi-vies sont très variables allant de quelques heures pour le dasatinib à presque 20j pour la vandetanib. Cependant, ces molécules sont souvent administrées en 1 ou 2 fois/j.
Tableau 2. Principales caractéristiques pharmacocinétiques des IPK.
Source de la variabilité de la réponse
Divers facteurs peuvent être à l’origine d'une variabilité de la réponse et de problèmes d’inefficacité des IPK :
- Facteurs cliniques influençant le pronostic au moment de la prise en charge (tels que l'état général, l'importance de la masse tumorale, le nombre et la localisation des métastases, etc.)
- Facteurs pharmacodynamiques tels que la présence initiale ou l’émergence de mutations sur les gènes codant pour les protéines tyrosine kinases cibles ou impliqués dans des voies de signalisation oncogéniques. Ces mutations sonts susceptibles d'entrainer des résistances primaires ou secondaires.
- Facteurs modifiant la pharmacocinétique tels que des polymorphismes génétiques des enzymes du métabolisme ou des interactions médicamenteuses.
Variabilité pharmacodynamique
La variabilité pharmacodynamique est liée à des mécanismes de résistance se rapprochant des processus oncogéniques des tyrosine kinases, avec entre autres des mutations ou des surexpressions de la cible.
- Modifications génomiques de la cible: Mutations sur les protéine kinases
Les mutations sont communes et apparaissent fréquemment dans les cellules cancéreuses se divisant rapidement, étant à l’origine pour des tyrosine kinases initialement non oncogéniques de modifications les entraînant vers une dérégulation. Ces mutations primaires, ainsi que des mutations secondaires apparues en cours de traitement, sont un mécanisme commun de résistance aux IPK. Les mutations les plus fréquentes sont celles qui diminuent l’affinité de la molécule pour le domaine kinase de la cible, maintenant alors son activité catalytique.
- Amplification de gènes
Dans certains cas, les IPK entraînent une pression de sélection qui engendre une amplification du gène cible, mais sans mutation nécessairement associée. Les cellules passent à un stade de « stress oncogénique », entraînant une production importante de protéines, ce qui modifie l’équilibre cible-inhibiteur. Une augmentation de dose peut suffire à restaurer la réponse au traitement.
- Délétions génomiques
Parmi les gènes qui sont souvent atteints par cette altération se trouvent ceux qui sont impliqués dans le contrôle de la voie de signalisation MAPK. Ce phénomène de délétion se retrouve fréquemment au niveau de gènes codant pour des micros ARN (miARN).
- Modification de l’expression de la protéine cible
L'échappement des cellules cancéreuses aux IPK passe également par la surexpression ou la répression de gènes qui maintiennent la viabilité cellulaire. La surexpression de Bcr-Abl est ainsi associée à des phénomènes de résistance à l'imatinib. Ce type de résistance n’implique pas nécessairement d’altération génétique, mais change le niveau d’expression du gène, en raison d’un stress micro-environnemental ou de phénomènes épigénétiques.
- Activation de voies de signalisation secondaires
Certaines cellules sont capables de compenser le manque de signal dû à l’inhibition de la cible en activant des voies de signalisation alternatives. Par exemple, la famille des récepteurs à l’EGF est capable de développer un mécanisme de résistance en modifiant l’expression de certains effecteurs en aval. De même, une résistance aux inhibiteurs de BRAF est possible via l'activation de voies annexes impliquées dans la prolifération cellulaire.
Variabilité pharmacocinétique
Les IPK possèdent un profil pharmacocinétique que l’on peut qualifier de favorable, puisque la plupart ont une absorption rapide et une biodisponibilité correcte. Pourtant, toutes ces molécules présentent des caractéristiques pharmacocinétiques susceptibles de varier au cours du temps et entre les individus : les IPK sont généralement administrés par voie orale et le CYP3A4 est majoritairement en charge de leur métabolisme. Dans les différentes séries publiées, sur les IPK (sauf phase I ou études de moins de 50 sujets), les variations interindividuelles relevées sont au moins de 40 %.
Les raisons de ces variations de concentration plasmatique ne sont pas complètement élucidées, mais impliquent probablement :
- Une mauvaise observance
- Des facteurs de variations d’origine démographique, comme le sexe, l’âge, le poids, la surface corporelle, etc.
- Des différences d’absorption au niveau du tractus gastro-intestinal (notamment liées aux conditions de prises)
- Une variabilité intrinsèque dans l’activité des enzymes du métabolisme (CYP3A4) ou des interactions médicamenteuses sur ces enzymes
- Des différences de liaisons protéiques (albumine, alpha-glycoprotéine)
- Des différences de pénétration et d’efflux des molécules au niveau des cellules
Il en résulte des coefficients de variation très élevés (9 à 221% pour certaines molécules) avec un risque d'inefficacité ou de toxicité. Malgré cette variabilité pharmacocinétique importante, ces molécules sont largement prescrites à des doses initiales identiques pour tous les patients à l'exception de certaines situations particulières (insuffisances rénale ou hépatique...). A ce jour, un certain nombre d'IPK (inhibiteurs de CDK4/6, inhibiteurs de PARP) ont fait l'objet d'étude pharmacocinétiques établissant un intérêt du suivi thérapeutique pharmacologique dans ce contexte.
Effets indésirables
Malgré leur action privilégiée sur les cellules cancéreuses, les IPK ne sont pas dénués d'effets indésirables. Ils peuvent être regroupés en deux grandes catégories:
- Les effets de type "class effects" liés à l'inhibition des protéine kinases ciblées dans les cellules saines.
- Les effets de type "off-targets" liés à l'inhibition de protéines partageant une certaine similitude (résidus, structure...) avec la cible.
Ces effets indésirables peuvent se manifester dans de nombreux organes et tissus différents. Ils peuvent être gradés selon leur niveau de gravité (Grade 1 à 5), ce qui orientera leur prise charge clinique (pouvant aller jusqu'à l'arrêt du traitement). Parmi les pricipales atteintes, il est possible de citer:
- Les atteintes dermatologiques. Elles sont retrouvées pour de nombreux IPK. Des rash cutanés peuvent par exemple être observés avec les inhibiteurs de BRAF, les inhibiteurs de EGFR ou encore les inhibiteurs de BTK. Des syndromes main-pieds correspondant à une inflammation cutanée douloureuse sont également décrits avec les inhibiteurs multikinase anti-angiogéniques ou les inhibiteurs de EGFR.
- Les atteintes oculaires. Des troubles de la vision (Inhibiteurs de ALK), des atteintes de la cornée (Inhibiteurs de EGFR) ou encore des uvéites (Inhibiteurs de BRAF)sont retrouvées.
- Les atteintes cardiovasculaires. Des phénomènes d'hypertension (inhibiteurs de l'angiogenèse), d'allongement du QT (inhibiteurs multikinase), de diminution de la fraction d'éjection ventriculaire gauche (inhibiteurs de BRAF) sont décrites.
- Les atteintes gastrointestinales. Des diarrhées sont retrouvées pour de nombreux IPK (inhibiteurs de l'angigenèse, inhibiteurs de BRAF, inhibiteurs de BTK, etc.).
- Les atteintes hématologiques. Des neutropénies et thrombocytopénies peuvent survenir notamment avec les inhibiteurs de JAK ou encore les inhibiteurs de HDAC.
- Autres: atteintes respiratoires, atteintes métaboliques, infections, etc.
Figure. Exemples d'effets indésirables observés avec les IPK.