De nombreuses pathologies dermatologiques inflammatoires, dysimmunitaires ou prolifératives sont sensibles aux dermocorticoïdes. Leur utilisation a révolutionné la prise en charge de dermatoses comme le psoriasis, la dermatite atopique ou l’eczéma. Leur usage abusif des premières années a conduit à des effets indésirables sévères, en particulier chez l’enfant, responsables d'une appréhension des prescripteurs et des malades vis à vis de ces médicaments. Cette "phobie" ressentie par les malades ou leur entourage conduit fréquemment à une mauvaise observance du traitement, responsable d'échec thérapeutique. Leur utilisation chez l’enfant comme chez l’adulte doit respecter des règles qui permettent le plus souvent d'éviter les effets indésirables. Les conditions d'utilisation doivent être clairement expliquées au patient et/ou à son entourage, en s'assurant au cours des consultations successives qu'elles ont été comprises et respectées.
L’activité anti-inflammatoire d'un dermocorticoïde dépend
- de la structure chimique de la molécule
- de son affinité pour les récepteurs
- de sa concentration dans le véhicule
- de la nature du véhicule
La classification des dermocorticoïdes est basée d'une part sur le test de vasoconstriction de McKenzie (voir chapitre « Effets utiles en clinique ») et d'autre part sur les données d’efficacité issues des essais cliniques. Même si elle reste indicative, cette classification est importante en pratique quotidienne car elle permet de choisir la formulation la plus appropriée en termes de rapport bénéfice/risque. Elle comporte actuellement 4 niveaux d’activité anti-inflammatoire :
- activité anti-inflammatoire très forte
- activité anti-inflammatoire forte
- activité anti-inflammatoire modérée
- activité anti-inflammatoire faible
En raison de la variété des formes galéniques proposées pour une même molécule et des associations multiples (antibactériens, antiseptiques, antifongiques, anesthésiques locaux, acide salicylique), il existe en France une centaine de spécialités contenant des dermocorticoïdes. Les dermocorticoïdes non associés actuellement disponibles en France sont les suivants :
Activité Anti-inflammatoire |
Dénomination commune Internationale |
Nom de Spécialité |
Formes galéniques |
Concentration % |
Très forte |
Clobétasol propionate |
Dermoval® |
Crème, gel capillaire |
0.05 |
Bétaméthasone dipropionate |
Diprolène® |
Crème, pommade |
0.05 |
|
Forte |
Bétaméthasone valérate |
Betneval® Betneval®Lotion |
Crème, pommade Emulsion |
0.10 |
Bétaméthasone valérate |
Célestoderm® |
Crème |
0.10 |
|
Bétaméthasone dipropionate |
Diprosone® |
Crème, pommade, lotion |
0.05 |
|
Acéponate d’hydrocortisone |
Efficort® |
Crème hydrophile, Crème lipophile |
0.127 |
|
Difluprednate |
Epitopic 0.05%® |
Crème, gel |
0.05 |
|
Fluticasone |
Flixovate® |
Crème Pommade |
0.05 0.005 |
|
Désonide |
Locatop® |
Crème |
0.10 |
|
Hydrocortisone butyrate |
Locoïd® |
Crème, crème épaisse, émulsion fluide, lotion, pommade |
0.10 |
|
Diflucortolone valérate |
Nérisone® Nérisone®Gras |
Crème, pommade Pommade anhydre |
0.10 |
|
Modérée |
Bétaméthasone valérate |
Célestoderm® Relais |
Crème |
0.05 |
Difluprednate |
Epitopic 0.02%® |
Crème |
0.02 |
|
Désonide |
Locapred® |
Crème |
0.10 |
|
Fluocinolone acétonide |
Synalar® |
Solution |
0.01 |
|
Désonide |
Tridésonit® |
Crème |
0.05 |
|
Fluocortolone base+caproate |
Ultralan® |
Pommade |
0.50 |
|
Faible |
Hydrocortisone |
Aphilan Démangeaisons® |
Crème |
0.50 |
Hydrocortisone |
Biacort® |
Crème |
0.50 |
|
Hydrocortisone |
Hydracort crème® |
Crème |
0.50 |
|
Hydrocortisone |
Dermaspraid® Démangeaison |
Crème Solution |
0.50 |
|
Hydrocortisone |
Mitocortyl® démangeaisons |
Crème |
0.50 |
|
Hydrocortisone |
Hydrocortisone Kérapharm® |
Crème |
1 |
L’action des glucocorticoïdes passe par un récepteur ubiquitaire appartenant à la superfamille des récepteurs aux stéroïdes, intracellulaires.
Il possède 3 domaines fonctionnels:
- domaine d'activation du gène (ou de régulation transcriptionnelle),
- domaine de liaison à l'ADN
- domaine de liaison au ligand
Il est présent sous forme inactive dans le cytosol, lié à un complexe protéique comprenant la "heat-shock protein" HSP 90 (protéine de choc thermique) et l’immunophiline.
La fraction libre du corticoïde (10 à 20%) est responsable de l'activité pharmacologique : le corticoïde traverse la membrane cellulaire par diffusion passive pour se lier au récepteur, provocant la dissociation du complexe protéique. L'ensemble ligand-récepteur migre dans le noyau (translocation nucléaire) (figure 1)
2- Régulation transcriptionnelle
- Action directe sur la transcription
Le complexe hormone-récepteur interagit avec l'ADN au niveau de sites appelés "Glucocorticoids-Responsive-Elements" (GRE) et exerce une activation de la transcription. Il en résulte une augmentation de production de protéines anti-inflammatoires comme la lipocortine-1 (ou annexine-1), l’interleukine 10 ou la protéine IkB. Une inhibition de transcription de certains gènes par régulation négative de la transcription via un site de liaison négatif ou nGRE est également possible (figure 2).
- Action transcriptionnelle indirecte, par les facteurs de transcription AP-1, NF-kB et NF-IL6 :
Les corticoïdes contrôlent l’expression de multiples gènes de l’inflammation comme ceux de nombreuses cytokines (activation ou inhibition de leur transcription). Cette action n’est pas liée à l’interaction directe avec un GRE mais passe par une interaction avec des protéines de régulation transcriptionnelle (facteurs de transcription) comme AP-1, NF-kB et NF-IL6. Cette interaction constitue le principal mécanisme responsable des effets des glucocorticoïdes.
- Action sur la structure chromosomique
Les glucocorticoïdes pourraient modifier la structure de la chromatine, réduisant l’accès des facteurs de transcription à leurs sites de fixation et inhibant l’expression des gènes concernés.
3- Effets non génomiques
Ces effets pourraient expliquer les effets rapides des corticoïdes : actions membranaires, actions post-transcriptionnelles sur les ARNm, sur les protéines.
1- Activité anti-inflammatoire
C’est l’activité la plus utile en clinique. Elle résulte d’actions sur des nombreuses cibles moléculaires et cellulaires: cytokines, médiateurs de l'inflammation, molécules d'adhésion, cellules sanguines de la lignée blanche, cellules endothéliales, fibroblastes.
Les dermocorticoïdes ont également des propriétés vasoconstrictrices qui participent à leur effet anti-inflammatoire en diminuant rapidement l’érythème et l’oedème. Cette propriété de vasoconstriction sert de support au test de McKenzie mis au point pour comparer sur la peau humaine l'effet vasoconstricteur des différents corticoïdes entre eux (mesure de l'intensité du blanchiment obtenu après application cutanée sous occlusion).
2- Activité anti-mitotique (ou anti-proliférative)
Les dermocorticoïdes ont une activité anti-proliférative sur tous les composants cellulaires de la peau. Ces propriétés sont à l'origine d'effets indésirables locaux (atrophie épidermique réversible, dépigmentation, atrophie dermique à l’origine de vergetures définitives) mais sont aussi utilisées dans un but thérapeutique, par exemple dans les cicatrices chéloïdes (effet atrophiant dermique recherché).
3- Activité immunosuppressive
Les dermocorticoïdes exercent une activité immunosuppressive locale, utile dans le cadre de pathologies faisant intervenir le système immunitaire (eczéma par exemple), mais également responsable du risque infectieux associé à une utilisation prolongée.
Tachyphylaxie
Ce phénomène se traduit par l'apparition d'une tolérance, c'est-à-dire d'une résistance de la dermatose au traitement après applications prolongées et ininterrompues. Ce phénomène ne concerne pas les effets indésirables qui ont tendance à s'accentuer.
4- Dermocorticoïdes de « nouvelle génération »
La recherche dans le domaine des dermocorticoïdes s'oriente depuis quelques années vers la production de nouveaux dérivés qui posséderaient une activité anti-inflammatoire du même ordre que les dérivés plus anciens, mais induisant moins d'effets indésirables qu'eux (fluticasone, prednicarbate, aceponate de méthylprednisolone, furoate de mométasone). Les résultats des études in vitro et in vivo sont contradictoires et l’intérêt de ces nouvelles molécules en termes d’effet indésirable dans le cadre d’utilisation prolongée dans des pathologies dermatologiques chroniques reste à démontrer.
1- Action à l’échelon moléculaire
En modulant la transcription génique, les corticoIdes interfèrent avec la synthèse des médiateurs de l'inflammation. Leurs effets anti-inflammatoires reposent en particulier sur:
- l'inhibition de synthèse de la cyclo-oxygénase 2, des cytokines et des interleukines.
- l'augmentation de synthèse d'annexine-2, qui a de puissantes proprétés anti-inflammatoires.
2- Action à l'échelon cellulaire
2-1- Cellules sanguines de la lignée blanche
- Macrophages : inhibition de la différentiation, de la myélopoïèse, de l’expression des antigènes HLA de classe II induite par l’interféron-g, de la production de cytokines, de prostaglandines et de leucotriènes, du chimiotactisme et de la phagocytose, diminution de l’activité tumoricide, fongicide et bactéricide des macrophages activés
- Polynucléaires neutrophiles : inhibition de leur adhésion aux cellules endothéliales freinant leur afflux sur les lieux de l’inflammation.
- Polynucléaires éosinophiles, basophiles et mastocytes : inhibition de la libération IgE-dépendante d’histamine et de leucotriène C4 par les basophiles et de la dégranulation des mastocytes
- Lymphocytes
- Lymphocytes T : Inhibition de la production, de la prolifération et des fonctions des lymphocytes T helper, suppresseurs et cytotoxiques avec production préférentielle de cellules de la voie Th2 et inhibition des cellules de la voie Th1
- Lymphocytes B (moins sensibles que les lymphocytes T) : inhibition de la prolifération des lymphocytes B, effets minimes sur les plasmocytes et la sécrétion d’immunoglobulines
2-2- Autres cellules
- Cellules endothéliales : diminution de la perméabilité vasculaire et de l’activation des cellules endothéliales, inhibition de l’expression des antigènes HLA de classe II, des molécules d’adhésion, diminution de la sécrétion de la fraction C3 et du facteur B du complément et de la formation d’IL-1, des métabolites de l’acide arachidonique et de la cyclooxygénase 2.
- Fibroblastes : Diminution de la prolifération et de la production de protéines dont le collagène
Biodisponibilité cutanée
Le corticoïde délivré à partir de la préparation pénètre par voie trans-épidermique et transfolliculaire. La biodisponibilité cutanée dépend de nombreux facteurs influencent la pénétration cutanée :
- Caractéristiques physico-chimiques de la molécule : pénétration favorisée par une forte liposolubilité
- Concentration: augmentation de la pénétration avec l'augmentation de la concentration
- Excipient: pénétration favorisée par un excipient gras (effet occlusif), par le propylène glycol (solubilisant)
- Adjuvants: l'acide salicylique (kératolytique) et l'urée (agent hydratant de la kératine) favorisent la pénétration
- Altération de l'épiderme: augmentation de la pénétration dans les dermatoses exfoliatrices et inflammatoires.
- Hydratation: meilleure diffusion dans un épiderme hydraté.
- Localisation anatomique: en fonction de l'épaisseur de la couche cornée, principale barrière à la diffusion
- Âge du patient: absorption plus importante chez le sujet âgé et surtout chez le prématuré. Chez l'enfant le problème est surtout lié à un rapport surface corporelle/poids élevé.
- Température cutanée: augmentation de la pénétration avec l'augmentation de la chaleur locale.
- Surface d'application
- Durée du contact
- Occlusion: multiplie l'absorption cutanée par un facteur 10 en augmentant le degré d'hydratation de la couche cornée, la température locale et le temps de contact.
Effet réservoir
Les dermocorticoïdes ont la capacité de s'accumuler dans la couche cornée pour être relargués ensuite progressivement vers les couches plus profondes de l'épiderme et le derme. Cela explique qu’une seule application par jour soit suffisante dans la grande majorité des cas. L'augmentation de la fréquence d'application peut se justifier pour le traitement initial des dermatoses dans lesquelles l'effet réservoir est diminué voire inexistant, en pratique en cas d'altération de la couche cornée.
Les dermocorticoïdes sont contre-indiqués dans toutes les dermatoses infectieuses et en particulier au cours des dermatoses virales (herpès, varicelle). Ils sont également contre-indiqués sur des lésions d’acné, de rosacée et d’érythème fessier.
Contre-Indications |
Hypersensibilité à l'un des produits contenus dans la préparation. |
Infections primitives bactériennes, virales, fongiques ou parasitaires |
Lésions ulcérées. |
Acné, rosacée. |
Dermatite périorale |
Application sur les paupières (risque de glaucome). |
Choix de l’activité du dermocorticoïde
- Il repose sur le rapport bénéfice/risque du traitement, dépendant du type de l’affection, de la surface et du siège des lésions à traiter, de l’âge du patient.
- Les dermocorticoïdes d’activité très forte doivent être réservés à un usage spécialisé.
Quantification des dermocorticoïdes
- La durée du traitement et la quantité totale de produit (nombre de tubes par unité de temps) doivent être limitées et contrôlées.
- Une unité de mesure a été proposée « la phalangette » : quantité de crème sortie d’un tube d’un orifice de 5 mm de diamètre (= 0,5 g) et déposée sur la dernière phalange d’un index d’adulte, permettant de traiter une surface cutanée équivalente à la surface de 2 mains d’adulte.
Technique et rythme d’application
- Le dermocorticoïde doit être étalé en couche fine après le bain ou la douche (matin ou soir) sur une peau encore un peu humide.
- La technique de l'occlusion est de prescription spécialisée, à réserver aux lésions très épaisses, résistantes, de surface limitée, aux atteintes des paumes et des plantes et parfois du cuir chevelu. L’application sur les fesses des nourrissons (sous la couche) ou dans les grands plis reproduit une occlusion naturelle et doit être évitée.
- La posologie initiale est de 1 application par jour, 2 applications n’apportant pas de bénéfice supplémentaire, mais pouvant augmenter le risque d’effet indésirable.
- La durée du traitement doit être aussi courte que possible. Dans les dermatoses aiguës, le dermocorticoïde peut être arrêté rapidement. Dans les dermatoses chroniques, l'arrêt doit être lentement progressif en espaçant les applications pour éviter un rebond de la dermatose.
- En cas de surinfection microbienne d’une dermatose corticosensible, un traitement spécifique doit précéder (sans trop la retarder) la corticothérapie locale.
Ils apparaissent d'autant plus vite et sont d'autant plus marqués que le dermocorticoïde est puissant, surtout en cas d’utilisation prolongée et/ou sous occlusion.
Effets indésirables locaux
Lorsqu’ils sont utilisés pendant des périodes courtes et sans occlusion, les dermocorticoïdes sont sans effet indésirable important. L’effet local le plus souvent observé est l’atrophie cutanée au site d’application observée cliniquement lors des traitements prolongés. L'atrophie du derme, irréversible, ne se voit que dans de rares cas d'utilisation prolongée de dermocortocoïdes puissants.
Allergie de contact : La sensibilisation aux dermocorticoïdes se voient essentiellement chez des patients ayant des dermatoses chroniques traités par de multiples dermocorticoïdes. Elle doit être suspectée en cas de résistance au traitement ou devant un eczéma de contact oedémateux. Devant cette situation, des tests allergologiques adaptés doivent être demandés Cette sensibilisation peut être due aux excipients, aux produits associés ou aux corticoïdes eux-mêmes. Il existe une classification spécifique en fonction des réactions croisées entre les différents corticoïdes utilisés par voie locale.
Effets indésirables systémiques
Des effets systémiques de type hypercorticisme peuvent s’observer après utilisation prolongée (souvent abusive) de dermocorticoïdes de forte ou très forte activité, sur de grandes surfaces et sur des épidermes altérés ou sous occlusion. Bien que rapportés chez l'adulte, ils sont surtout à redouter chez l'enfant en raison d'un rapport surface corporelle/poids plus important que chez l'adulte.