Les médicaments inhibant l’activité des facteurs de la coagulation par voie injectable ont un effet anticoagulant très rapide (globalement < 3 heures) et sont donc utilisables dans toutes les situations à risque thrombotique aigu comme :
On distingue essentiellement 2 classes de médicaments anticoagulants injectables :
Des inhibiteurs physiologiques de la coagulation ont pu être synthétisés (protéine C et antithrombine). Leurs indications étant exceptionnelles et limitées au sepsis grave et aux coagulations intravasculaires disséminées, il ne seront pas décrits dans ce chapitre.
Outres les phénomènes allergiques, les principales contre-indications et principaux effets indésirables communs à tous ces médicaments concernent le risque hémorragique. Plus spécifique aux héparines, il existe un risque de thrombopénie induite par héparine, responsable d’accidents thrombotiques potentiellement létaux. Ce risque impose une surveillance plaquettaire régulière avec les héparines et le danaparoïde.
Certains de ces médicaments présentent une variabilité de réponse importante, imposant une surveillance biologique de l’hémostase lorsqu’ils sont prescrits à dose curative (HNF). Pour les autres médicaments, cette surveillance biologique peut s’avérer utile en cas de risque d’accumulation, notamment lors d’insuffisance rénale, avec un âge avancé ou un faible poids corporel. Cette surveillance biologique est spécifique à chaque médicament.
L’insuffisance rénale sévère est une contre-indication pour l’ensemble des médicaments en dehors de l’HNF et des HBPM à doses prophylactiques.
Le système de la coagulation, système enzymatique complexe, réagit en cascade depuis l’activation du complexe facteur tissulaire-facteur VII jusqu’à la formation de la fibrine par la thrombine ou facteur II activé. Comme tout système physiologique, il existe des mécanismes de régulation qui permettent de maintenir le système de le coagulation à l’état d’équilibre. Théoriquement, une inhibition directe ou indirecte d'un ou plusieurs facteurs de la coagulation permet d'obtenir un effet anticoagulant; en pratique, en fonction du(des) facteur(s) inhibés, les conséquences ne sont pas identiques.
Il existe des déficits constitutionnels quantitatifs ou qualitatifs de ces inhibiteurs physiologiques responsables d’un état d’hypercoagulabilité appelé aussi « thrombophilie », à l’origine de pathologies thromboemboliques familiales.
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Mécanime d'action |
Médicament |
Origine |
Posologie |
Héparine non fractionnée | Inhibition des facteurs IIa et Xa [anti-Xa / anti-IIa] ~ 1 |
Héparine calcique | Animale | SC |
Héparine sodique | Animale | IV | ||
Héparines de bas poids moléculaire | Inhibition des facteurs IIa et Xa [anti-Xa / anti-IIa] ~ 2–4 |
Daltéparine | Animale | SC |
Enoxaparine | Animale | SC ou IV | ||
Nadroparine | Animale | SC | ||
Tinzaparine | Animale | SC | ||
Héparinoïde | Inhibition des facteurs IIa et Xa, [anti-Xa / anti-IIa] ~ 20 | Danaparoïde | Animale | SC |
Activité anti-facteur Xa exclusive | Fondaparinux | Synthétique | SC | |
Hirudines | Activité anti-facteur IIa exclusive | Désirudine | Synthétique | SC |
Lépirudine | Synthétique | SC | ||
Bivalirudine | Synthétique | SC |
Le mécanisme d'action anticoagulant de l'héparine et ses dérivés dépend de la nature du mélange des chaines polysaccharidiques. L'héparine non fractionnée (HNF), principalement extraite de la muqueuse intestinale de porc, est un mélange complexe de mucopolysaccharides sulfatés. La masse moléculaire des molécules constituants l'HNF varie entre 3000 et 30000 Da. En fonction de la longueur de la chaine polysaccharidique l'action de l'HNF se portera sur une inhibition de l'activité du facteur X activé (anti-Xa) ou sur une inhibition de la thrombine (anti-IIa). En effet, la fixation de ces polysaccharides à l’antithrombine se fait par une séquence de cinq sucres (pentasaccharide spécifique).
Ainsi,
Figure : Mécanisme d'action des héparines en fonction de leur poids moléculaire
En raison de leur structure chimique, ces médicaments nécessitent une voie d’administration parentérale IV ou SC. De ce fait, leur utilisation est particulièrement adaptée aux situations pathologiques aiguës ou à des indications ne relevant que d’un traitement court, ou encore chez la femme enceinte (poids moléculaire élevé ne permettant pas de franchir la barrière foeto-placentaire) même si dans certaines indications, leur prescription peut durer plusieurs mois voir plusieurs années (traitement curatif de la maladie thrombo-embolique veineuse en contexte de cancer actif).
Certains d’entre eux ne sont validés qu’en cas de thrombopénie induite par héparine contre-indiquant toute ré-introduction d’un dérivé héparinique autre que la danaparoïde (risque de réactivité croisée in vitro de 5 à 10 % avec les héparines et ses dérivés mais en pratique la faible fréquence des conséquences cliniques permet de proposer le danaparoïde sodique comme traitement antithrombotique substitutif pour les patients présentant une thrombopénie induite par héparine).
Enfin, ces anticoagulants sont utilisables :
Il faudra toujours mettre en balance le risque hémorragique de ces médicaments avec les bénéfices attendus.
1. Pharmacodynamie des effets utiles en clinique à dose prophylactique
En l’absence de tout traitement, le risque de thromboses veineuses profondes (TVP) en chirurgie orthopédique est d’environ 50%, de 25% en cas de chirurgie générale et de 15% en cas d’affection médicale aiguë.
Prévention de la maladie thromboembolique veineuse : réduction des thromboses veineuses profondes systématiquement recherchées par phlébographie en fin de traitement (# 15 jours)
Post-opératoire en orthopédie |
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Post-opératoire en chirurgie générale |
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Au décours d'un affection médicale aigüe |
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2. Pharmacodynamie des effets utiles en clinique à dose curative
Syndrome coronarien aigu sans élévation persistant du segment ST |
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réduction de la morbi-mortalité cardiovasculaire |
Syndrome coronarien aigu avec élévation persistante du segment ST |
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réduction de la morbi-mortalité cardiovasculaire |
Syndrome coronarien aigu avec angioplastie coronaire
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réduction de la morbi-mortalité cardiovasculaire |
Traitement de la maladie thromboembolique veineuse récidives de TVP + EP à 3 mois |
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I. Les inhibiteurs antithrombine-dépendants
Médicament | Caractéristiques pharmacocinétiques |
HNF |
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HBPM |
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Danaparoïde |
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Fondaparinux |
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II. Les inhibiteurs directs de la thrombine
Médicament | Caractéristiques pharmacocinétiques |
bivalirudine |
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argatroban |
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Les principales sources de variabilité de la réponse des héparines et ses dérivés concernent essentiellement l’altération de la fonction rénale, l’âge élevé des patients et les poids corporels extrêmes.
Quoi qu’il en soit, lorsque ces médicaments sont prescrits à dose prophylactique, la variabilité reste suffisamment faible pour qu’aucune surveillance biologique systématique ne soit recommandée.
A l’inverse, lorsque les produits sont prescrits à dose curative, cette variabilité devient suffisamment importante pour qu’une surveillance biologique systématique soit nécessaire pour certains d'entre eux (risque d'efficacité insuffisante en cas de sous-dosage et de toxicité en cas de surdosage). Le simple calcul de la clairance de la créatinine, qui tient compte de l’ensemble des paramètres influençant la réponse, permet d'aappréhender ces risques et de les prévenir dans une certaine mesure.
Médicament |
Facteur de variabilité |
HNF |
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HBPM |
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Danaparoïde |
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Fondaparinux |
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Hirudines et dérivés |
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Argatroban |
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* sauf si il n’existe pas d’autres alternatives thérapeutiques en cas de TIH
I. Contre-indications absolues
Tous les inhibiteurs de l’activité des facteurs de la coagulation présentent les contre-indications absolues suivantes :
Pour chacun de ces médicaments, il existe des contre-indications absolues spécifiques résumées dans le tableau ci-dessous :
Médicament |
Contre-indications absolues |
HNF |
- thrombopénie induite par héparine |
HBPM |
- thrombopénie induite par héparine - insuffisance rénale sévère pour les doses curatives (ClCr < 30 ml/min) |
Danaparoïde |
- réactivité croisée en cas de thrombopénie induite par héparine - insuffisance rénale et hépatique sévère |
Fondaparinux |
- insuffisance rénale sévère (ClCr < 30 ml/min) |
Hirudines |
- insuffisance rénale et hépatique sévère - grossesse (contre-indication relative pour la bivalirudine) |
Argatroban | - insuffisance hépatique sévère |
II. Contre-indications relatives
L’association à d’autres médicaments interférant avec l’hémostase (notamment les médicaments antiplaquettaires), et une chirurgie récente/un antécédents récent hémorragique (mais non actif) doivent être considérés comme des contre-indications relatives, principalement pour les prescriptions à doses curatives.
III. Situations à risque
Toutes les pathologies pouvant augmenter le risque hémorragique comme des antécédents hémorragiques (à fortiori récents et actifs), doivent être considérées comme des situations à risque pouvant nécessiter des précautions d’emploi.
L'insuffisance rénale, un poids corporel faible (< 50 kg) ou un âge avancé (> 75 ans) doivent être considérés comme situations à risque hémorragique.
Médicament |
Précautions d’emploi |
HNF |
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HBPM Danaparoïde
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Fondaparinux |
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Hirudines |
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Argatroban |
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Tous les médicaments de l’hémostase exposent à deux types d’effets indésirables, les complications hémorragiques et les complications non hémorragiques.
I. Les accidents hémorragiques
Les accidents hémorragiques sont la complication la plus fréquente, potentiellement grave. Ces accidents hémorragiques peuvent relever de mesures spécifiques pour les dérivés hépariniques.
Médicament |
Antidote |
Délai d’action |
HNF |
- Sulftate de protamine (1 unité neutralisant 1 unité d’héparine) |
Immédiat |
HBPM |
- Sulfate de protamine (1 unité / 1 unité d’activité anti IIa) |
Partiellement efficace (activité anti Xa neutralisée à 50%) |
En dehors de ces mesures spécifiques, on pourra utiliser des mesures plus générales comme bien sûr l’arrêt du traitement, le traitement de l’état de choc le cas écheant… Le facteur VII activé est parfois utilisé, mais sur avis spécialisé.
Dans tous les cas, il est important d’identifier l’étiologie de la complication hémorragique (erreur de prescription ou d’administration, pathologie intercurrente...) afin de limiter le risque de récidive.
II. Les accidents non hémorragiques
Concernant les effets indésirables non hémorragiques, nous ne rapporterons ici que les effets indésirables fréquents et/ou relevant d’une surveillance particulière et/ou menaçant le pronostic vital.
Il est important de distinguer ici les thrombopénies induites par héparines des autres effets indésirables non hémorragiques, compte tenu de leur fréquence, leur gravité potentielle, et des mesures spécifiques qu’elles entraînent.
A. Les thrombopénies induites par héparine (TIH)
Les TIH représentent l’effet indésirable le plus important de cette classe de médicaments, potentiellement grave, voire fatal. Il existe deux types de TIH différenciées selon leur délai d’apparition et les mécanismes mis en jeu. L’une précoce, bénigne (de type I), d’origine non immune, régresse malgré la poursuite du traitement par héparine. L’autre, immuno-allergique (de type II), potentiellement grave, est d’apparition plus tardive. La fréquence de ces TIH varie avec le médicament utilisé :
Médicaments |
Fréquence des TIH |
Surveillance de la NFP |
HNF |
~1 % |
2 / semaine pendant 1 mois |
HBPM |
< 1 % |
2 / semaine pendant 1 mois |
Danaparoïde |
5% de réactivité croisée |
2 / semaine pendant 1 mois |
Fondaparinux |
a priori nulle |
Pas de surveillance systématique |
Les hirudines ne sont pas concernées par cette complication.
Les TIH répondent aux caractéristiques suivantes :
Les principales conduites à tenir face à une TIH sont :
B. Les autres effets indésirables
Pour tous les médicaments, on retrouve la possibilité de réactions anaphylactiques générales ou de réactions cutanées au point d’injection. Toutes les autres manifestations sont sans conséquences cliniquement pertinentes.
Surveillance de l'efficacité :
Selon les médicaments, les indications et la durée de traitement, une surveillance biologique avec adaptation posologique en fonction peut s'avérer nécessaire. Le TCA est alors utilisé pour l'NHF et l'héparine sodique et l'activité anti-Xa pour les HBPM et le danaparoïde. La surveillance biologique est détaillée dans le tableau ci-dessous.
Surveillance des effets indésirables :
L’HNF, les HBPM et le danaparoïde nécessitent une surveillance régulière et impérative de la numération plaquettaire sanguine en raison du risque de thrombopénie induite par héparine (TIH). Cette numération doit être effectuée 2 fois par semaine pendant le premier mois de traitement.
Le fondaparinux n’entraînerait pas de TIH. Une surveillance systématique n’est pas recommandée.
Médicament | Surveillance |
HNF |
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HBPM |
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Danaparoïde |
Surveillance possible par la mesure de l’activité anti-Xa :
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Fondaparinux |
Une mesure de l'activité anti-Xa n'est pas recommandée |
Bivalirudine |
Une surveillance de l’hémostase par le TCA est recommandée en cas d’insuffisance rénale et/ou chez le sujet âgé. On observe en moyenne un TCA à 365 ± 100 sec 5 minutes après l’administration en bolus |
Argatroban | Une surveillance de l'hémostase par le TCA est nécessaire pour adapter les posologies. |