*Anesthésiques locaux : Les points essentiels

Résumé de la fiche

L’anesthésie locale correspond à la perte de sensibilité au niveau du lieu d’administration par interruption de la conduction nerveuse. Les anesthésiques locaux sont très largement utilisés, de l’odontologie à l’anesthésiologie en passant par la médecine générale et de nombreuses spécialités médicales et chirurgicales. 

Ils sont indiqués dans la prévention de la sensation de douleur et agissent par blocage réversible de la conduction nerveuse. Leur action est par définition limitée à la région d’administration. Le mécanisme d’action primaire des anesthésiques locaux est le blocage des canaux sodiques voltage et temps dépendant. Ils modifient le potentiel d’action, empêchant d’une part la pénétration du Na+ à l’intérieur de la fibre (réduction progressive de l’amplitude du potentiel d’action, ralentissement de sa vitesse de conduction et élévation du seuil de dépolarisation) et en diminuant d’autre part la conduction de l’influx le long de la fibre nerveuse (allongement de la période réfractaire).

Les propriétés chimiques, pharmacologiques et les formes galéniques de chaque molécule conditionnent leur utilisation clinique. 

La cocaïne a été le premier anesthésique local utilisé.

Item(s) ECN

136 (R2C): Anesthésie locale, locorégionale et générale
330 (R2C) : Prescription et surveillance des classes de médicaments les plus courantes chez l’adulte et chez l’enfant: Prescription et surveillance des classes de médicaments les plus courantes chez l’adulte et chez l’enfant

Rappel physiopathologique

La génération du message douloureux débute à la périphérie, au niveau des terminaisons libres amyéliniques des fibres nerveuses (les nocicepteurs). Une stimulation tactile ou thermique intense et potentiellement dommageable provoque l’activation de ces nocicepteurs. Si le stimulus est suffisamment important pour dépasser le seuil d’activation, un potentiel d’action est généré par un mécanisme de transduction. Le message douloureux est ensuite véhiculé jusqu’à la corne postérieure de la moelle épinière par les fibres nerveuses. La production et la conduction de l’influx nerveux le long des fibres nerveuses est liée aux modifications du gradient électrique de part et d’autre de la membrane de la cellule nerveuse par interaction avec les canaux sodiques.

L’anesthésie locale correspond à la perte de sensibilité au niveau du lieu d’administration par interruption de la conduction nerveuse. Il existe différents types d’anesthésie : anesthésie locale ou loco-régionale, anesthésie de surface ou de contact, et rachianesthésie. 
Ces techniques consistent à mettre en contact la moelle ou les racines avec une solution d’anesthésique local pour obtenir une anesthésie dans le territoire désiré (dépend du point de ponction et du volume administré). 

  • Anesthésie locale ou loco-régionale :
    • d'infiltration : l’anesthésique est injecté dans la zone à anesthésier. Cette technique consiste à injecter une solution d’anesthésique local diluée dans une veine d’un membre préalablement isolé de la circulation générale par un garrot artériel placé à sa racine.
    • de conduction : l'anesthésique est administré le plus près possible d’un tronc nerveux ou des troncs d’un plexus afin d’obtenir un bloc sensitif et éventuellement moteur dans le territoire de distribution. 
  • Anesthésie de surface ou de contact :  préparations pour applications sur la peau ou sur les muqueuses (pratique de gestes douloureux comme le cathétérisme urétral, la cystoscopie, la fibroscopie bronchique ou gastrique, différents actes chirurgicaux…)
  • Rachianesthésie : On injecte l'anesthésique local soit dans le liquide céphalo-rachidien épidural (injection intrarachidienne), soit dans l'espace épidural (injection épidurale ou péridurale).

 

Médicaments existants

Les anesthésiques locaux sont de petites molécules constituées d’un noyau hydrophobe lié par une chaine intermédiaire à un groupement amine tertiaire (résidu hydrophile). On distingue deux grands types d’anesthésiques locaux par la nature du lien entre le résidu hydrophile et la chaine intermédiaire : les esters et les amides.

Leur structure chimique est homogène et composée de 3 parties :

  • Groupement lipophile (cycle aromatique type acide benzoïque ou para-amino-benzoïque).
    Chaîne carbonée intermédiaire (fonction ester ou amide) : sa longueur influence la liposolubilité (allongement) ou l’hydrosolubilité (raccourcissement).
    • La liaison ester est instable : les anesthésiques locaux du type ester sont donc dégradés rapidement par hydrolyse enzymatique. 
    • La liaison amide est plus stable : les anesthésiques de ce groupe subissent une dégradation hépatique plus lente expliquant leur durée d’action plus longue et la production de métabolites souvent actifs.
  • Groupement ionisable hydrophile (amine tertiaire, rarement secondaire, dérivé de l’alcool éthylique ou de l’acide acétique).


Figure 1: Structure chimique des anesthésiques locaux

Tous les anesthésiques locaux ont une structure moléculaire commune et un mode d’action semblable. Le choix d’un agent anesthésique sera guidé par ses propriétés physico-chimiques et par le type d’anesthésie à induire. En effet, le devenir dans l’organisme d’un anesthésique local est lié à ses propriétés physico-chimiques qui conditionnent sa capacité de diffusion et de distribution dans les tissus avoisinant le site d’injection. 
Les molécules disponibles diffèrent par leur :
- puissance
- délai d’action
- durée d’action
- toxicité

La relation structure-activité et les propriétés physico-chimiques des molécules conditionnent leur utilisation. En effet, l’activité des anesthésiques locaux est déterminée par 3 propriétés : 

-la solubilité lipidique : plus elle est élevée, plus la molécule est puissante (meilleure pénétration intracellulaire).

-le pKa : Les anesthésiques locaux sont des bases faibles, commercialisées sous la forme de sels chlorydrates, dont le pKa se situe entre 7.7 (mépivacaïne) et 8.1 (bupivacaïne et ropivacaïne). Ils doivent passer la membrane sous forme neutre d'où l'importance de leur pKa et du pH extra et intracellulaire. Ainsi la ropivacaïne qui possède un pKa élevé, est davantage ionisée au pH extracellulaire que la lidocaïne ; et donc, peu de molécule est directement disponible pour traverser les membranes cellulaires, ce qui produit un bloc au délai d’installation plus long que cette dernière.

-la fixation aux protéines : elle va influencer la résorption et la durée d’action. Les molécules fortement liées aux lipoprotéines tissulaires des membranes nerveuses ont un effet prolongé.

Une vasoconstriction prolonge également l’effet de l’anesthésique en réduisant sa distribution systémique. Cet effet est obtenu par l’ajout de vasoconstricteurs (adrénaline).

 

Tableau 1 : Médicaments anesthésiques locaux à structure amino-amide

Molécule

Spécialités

Formes galéniques

Délai d'action
(durée)

Puissance
(relative à la lidocaïne)

Articaïne

Alphacaïne®, Ubistesin®

Sol Inj à usage dentaire

 Court
(1h)

1

Lidocaïne

Xylocaïne®, Lidocaïne®
Xylocard®
Emla®
Emlapatch®
Oraqix®
Dynexan®
Xylocaine Gel®

Sol Inj
Nébuliseur
Crème
Patch cutané
Gel périodontal
Crème buccale
Gél urétral

Court
(1h30-2h)

1

Levobupivacaïne

Chirocaïne®
Lebobupivacain®

Sol Inj

Intermédiaire
(3h-3h30)

4

Mépivacaïne

Carbocaïne®
Mépivacaïne®

Sol Inj

Court
(2-3h)

1

Prilocaïne

Emla®
Emlapatch®
Oraqix®

Crème
Patch
Gel périodontal

Court
(1h30-2h)

1

Ropivacaïne

Naropeine®
Ropivacaine®

Sol Inj

Intermédiaire
(2h30-3h)

3,3


Tableau 2: Médicaments anesthésiques locaux à structure amino-ester

 Molécule

Spécialités

Formes galéniques

Délai d'action
(durée)

Puissance
(relative à la lidocaïne)

Oxybuprocaïne

Cébésine®, 
Chlorhydrate d’oxybuprocaïne®
 

Collyre
 

Courte
( - )

-

Tétracaïne

Tétracaïne®

Collyre

Longue
(3-4h)

4

Mécanismes d’action des différentes molécules

Action anesthésique locale : 

Les anesthésiques locaux inhibent la conduction nerveuse d'une manière réversible sans altération du nerf. L'inhibition apparaît rapidement et pour une durée plus ou moins longue selon les produits et les concentrations utilisées. L'étendue du territoire rendu insensible à la douleur dépend des modalités d'administration de l'anesthésique local, soit au niveau des terminaisons nerveuses, soit au niveau d'un tronc nerveux par exemple.

Ils agissent au niveau de la membrane neuronale en interférant avec le processus d'excitation et de conduction. L’anesthésique traverse la membrane axonique, riche en lipides, sous forme de base avant de reprendre une forme cationique sur la face interne du neurone où le pH est plus acide. 
A ce niveau, on observe un blocage de la conduction nerveuse par diminution de la perméabilité membranaire aux ions sodium qui survient lors de la phase de dépolarisation. Au fur et à mesure de la progression de l'action anesthésique le long du nerf, le seuil d'excitabilité augmente et le temps de conduction s'allonge. Celle-ci est complètement bloquée à partir d'une certaine concentration d'anesthésique local. 
Les fibres nerveuses sont inégalement sensibles à l'action des anesthésiques locaux : disparaissent dans l'ordre : les sensations douloureuses, thermiques, tactiles.

Action sur le système cardiovasculaire : 

La ropivacaïne exerce aussi une activité vasoconstrictrice. 

La lidocaïne est utilisée en thérapeutique pour son un effet antiarythmique (classe Ib) par inhibition de l’excitabilité ventriculaire (dépression des foyers anormaux de l’automatisme).

Effets utiles en clinique

Tableau 3. Indications (les posologies varient en fonction de la molécule et de la voie d’administration utilisée)

Molécule

Indications principales

Autres indications

Articaïne 

Anesthésie loco-régionale en odontostomatologie

 

Levobupivacaïne

Anesthésie loco-régionale de conduction (chirurgies des membres inférieurs, urologique, gynécologique, abdominale sous-ombilicale, césarienne)

 Douleur post-opératoire

Mépivacaïne

Anesthésie loco-régionale d’infiltration (blocs plexiques et tronculaires, anesthésie péridurale et caudale)

 

Lidocaïne

Anesthésie de surface de la peau saine
Anesthésie loco-régionale d'infiltration et péridurale

Antiarythmique : arythmie ventriculaire 

Prilocaïne Anesthésie de surface de la peau saine  

Ropivacaïne

Anesthésies loco-régionale d'infiltration, régionale et péridurale

Douleur post-opératoire

Oxybuprocaïne Anesthésie locale en ophtalmologie  

Tétracaïne

Anesthésie locale en ophtalmologie (dont chirurgie)

 

Caractéristiques pharmacocinétiques utiles en clinique

Pour les anesthésiques locaux, et contrairement à la plupart des autres médicaments, c’est l’effet au niveau du site d’injection qui est recherché. La diffusion et la résorption sanguine sont au contraire non souhaitées: ils exercent leur activité au site d’injection et la circulation systémique n’est que la voie d’élimination.

Tableau 4. Données générales sur les caractéristiques pharmacocinétiques des anesthésiques locaux

Résorption

Distribution

Métabolisme

Elimination

-Influencée par les propriétés physico-chimiques : solubilité lipidique, fixation protéique, pKa.

-Influencée par la vascularisation du lieu d’injection.

-Influencée par la quantité injectée.

-Influencée par la présence ou non d’adjuvants (vasoconstricteur ralentit la résorption)

-Influencée par la vascularisation des tissus

-Amides : bonne diffusion au niveau des poumons, rate, reins

-Passage de la barrière placentaire 

-amino-esters : hydrolyse par les pseudocholinestérases en un métabolite commun à l’origine d’allergies (acide para-amino benzoïque)

-amino-amides : métabolisme hépatique.

Rénale

Fonction du pH, de la fixation protéique et de la liposolubilité

Source de la variabilité de la réponse

- Variations environnementales : 
Interactions médicamenteuses :
Pas d’interaction médicamenteuse sauf celles souhaitées lors d’associations de molécules notamment :
-l’addition d’un vasoconstricteur pour limiter la diffusion du produit.
-l’association d’un mélange d’anesthésiques pour obtenir une anesthésie plus rapide et de longue durée, et pour diminuer la toxicité.

Interactions non médicamenteuses : 
Pas d’interaction non médicamenteuse 
 

- Variations liées à l’état physiologique :

-Grossesse : La plupart des molécules peuvent être utilisées lors des anesthésies péridurales. Il existe un passage de la barrière foeto-placentaire pour la plupart des molécules (fonction du pH local, du pKa de la molécule). En cas d’acidose fœtale (souffrance fœtale), le passage des anesthésiques locaux est majoré.

-Allaitement : possible (passage systémique faible)

- Variations liées à l’état pathologique :

-Insuffisance hépatique : un retard d’élimination des molécules dégradées par le foie (lidocaïne, levobupivacaïne…) est prévisible. Il faut réduire la posologie.

-Insuffisance rénale sévère : Acidose et hypoprotidémie peuvent augmenter le risque de toxicité.

-Insuffisance cardiaque sévère : bas débit à l'origine d'une baisse de la résorption locale, potentiellement du débit sanguin hépatique ou rénal et donc de l'élimination.

-Insuffisance respiratoire : Un bloc étendu peut entraîner une détresse respiratoire par paralysie des muscles intercostaux, mais ceci ne pose habituellement pas de problème sauf chez les patients dont les réserves respiratoires sont faibles.

-Hypovolémie : risque d’hypotension artérielle brutale

-Acidose, hyperkaliémie, hypercapnie et hypoxie peuvent augmenter le risque de cardiotoxicité

Situations à risque ou déconseillées

Contre-indications absolues : 
- Hypersensibilité aux anesthésiques locaux
- Porphyrie, anémie hémolytique
- Troubles de la conduction cardiaque
- HTA sévère
- Epilepsie non contrôlée

Contre indications propres aux techniques :
 - Ne jamais utiliser de vasoconstricteur pour l'anesthésie locale des extrémités (doigts, orteils…), car il y a risque de nécrose par ischémie.

Précautions d’emploi

Surveillance de base :
-Eviter l’administration locale de l’anesthésique au niveau d’une zone infectée
-Respecter les règles strictes d’asepsie pour les formes injectables
-Respecter le site d’injection
-Utiliser la forme galénique adaptée
-Tenir compte des conséquences de l’anesthésie pour un site d’administration donné (par exemple, fausse route associée à l’anesthésie bucco-pharyngée).



Autres mesures :
 
-Ne jamais utiliser de vasoconstricteur pour l'anesthésie locale des extrémités (doigts, orteils…) car il y a risque de nécrose par ischémie. 
-Disposer, pour les formes injectables, d’un matériel d’anesthésie–réanimation (monitoring de la pression artérielle, de l’ ECG), des médicaments appropriés (anticonvulsivants, atropine, myorelaxants)…

Effets indésirables

La toxicité des anesthésiques locaux est essentiellement corrélée à un passage systémique augmenté, généralement secondaire à une injection intravasculaire non intentionnelle ou à la résorption systémique d’une dose excessive d’anesthésique local.
La toxicité des anesthésiques locaux dépend de :
- la dose injectée : le respect des doses maximales est primordial.
- Le site d’injection : la résorption est plus rapide et complète lors d’un bloc intercostal que lors d’une anesthésie péridurale, l’injection intra-vasculaire accidentelle est la cause la plus fréquente des accidents.
- La vitesse d’injection
- L’adjonction d’adrénaline qui ralentit la résorption donc la toxicité mais qui a ses effets indésirables propres (conséquences néfastes de la vasoconstriction locale).

Tableau 5. Effets indésirables des anesthésiques locaux

Molécules

Nature de l’effet indésirable

Gravité

Estimation de la fréquence

En savoir plus sur l’effet indésirable

Tous les anesthésiques locaux

Hypersensibilité à la molécule elle-même ou aux molécules de la même classe

Très grave 

Choc anaphylactique

Très rare

 

Tous les anesthésiques locaux

Troubles neurologiques du SNC

Grave

Rare

Dépendant du type d’anesthésie (favorisant ou non un passage systémique)

Crises convulsives annoncées par des signes subjectifs d’excitation (prodromes): tremblements, logorrhée, goût métallique, troubles visuels, acouphènes.
Les convulsions sont suivies d’un coma avec apnée et hypoxie.

Tous les anesthésiques locaux

Dépression respiratoire

Grave

Rare 

Dépendant du type d’anesthésie (favorisant ou non un passage systémique)

Eventuellement imputable aux excipients conservateurs et aux substances vasoconstrictrices

Tous les anesthésiques locaux Troubles cardiovasculaires Grave

Rare

Dépendant du type d’anesthésie (favorisant ou non un passage systémique)

Vasodilatation, diminution de la conduction et de la force de contraction cardiaque, se traduisant par une hypotension, voire un choc.

Tous les anesthésiques locaux

Complications des techniques loco-régionales

Hématome, paresthésie, nécrose, céphalées postopératoires intenses et rebelles

Grave

Rare

 

 
Conduite à tenir en cas de surdosage : 
Assistance respiratoire, remplissage vasculaire, injection d'Intralipides® (émulsion lipidique).

Surveillance des effets

 -Effets souhaités :
Surveillance clinique de la qualité de l’anesthésie (durée, étendue)

-Effets indésirables :
Surveillance clinique pour la mise en évidence des effets indésirables systémiques (cardiaques, neurologiques…); importance de la surveillance des prodromes neurologiques.
Pas de surveillance biologique (suivi thérapeutique pharmacologique) systématique hormis pour la lidocaïne utilisée comme antiarythmique.

 

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  • Dernière modification: : Romain Guilhaumou
  • 13 mai 2022