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Site du Collège National de Pharmacologie Médicale

Digitaliques

Résumé de la fiche

Les digitaliques sont des substances d'origine végétale, appartenant au groupe des tonicardiaques ou glycosides cardiaques. Seule la digoxine est commercialisée. L’effet de la digoxine dans le traitement de l’insuffisance cardiaque est lié à son effet inotrope positif et à son effet de contrôle de la fréquence ventriculaire dans la fibrillation auriculaire. Cependant, les glycosides cardiaques modulent également l’activité du système nerveux autonome, ce qui contribue à leur efficacité. La digoxine n'est plus un traitement de première intention de l'insuffisance cardiaque. La digoxine a un faible index thérapeutique, nécessitant une surveillance régulière clinique et biologique par suivi thérapeutique pharmacologique, avec un risque important d'effets indésirables, d'interactions médicamenteuses, ou d'intoxication.

Il existe un antidote à l'intoxication digitalique : le fragment Fab d'immunoglobuline antidigitalique ovin.

Item(s) ECN

230 : Fibrillation atriale
232 : Insuffisance cardiaque de l'adulte

Rappel physiopathologique

« La libération de calcium induite par le calcium » à l’origine de la contraction du cardiomyocyte.

Au niveau du cardiomyocyte, le Ca2+ extracellulaire entre à chaque dépolarisation via les canaux calciques voltage dépendants de type L (ces canaux sont bloqués par les antagonistes calciques à tropisme cardiaque type vérapamil et diltiazem, cf chapître spécifique). L’augmentation modérée de la concentration calcique cytosolique qu’elle entraîne induit la libération du Ca2+ stocké dans le réticulum sarcoplasmique (via le récepteur à la ryanodine RYR2). Ce phénomène est appelé « la libération de calcium induite par le calcium » ou « calcium induced calcium release » (Figure 1). Il en résulte une augmentation de la concentration calcique cytosolique disponible pour interagir avec les protéines contractiles, et donc une augmentation de la force de contraction des cardiomyocytes.
Pendant la repolarisation cardiomyocytaire, la diminution de calcium cytosolique est due à sa séquestration dans le réticulum sarcoplasmique par une Ca2+-ATPase (SERCA) et à son efflux vers le milieu extracellulaire par une autre Ca2+-ATPase (PMCA) et par un antiporteur (ou échangeur) Na+/Ca2+. La capacité d’échange Na+/Ca2+ de cet antiporteur dépend étroitement de la concentration cytosolique de sodium. En effet, d’une part l’antiporteur utilise le gradient sodique pour déplacer du calcium vers l’espace extracellulaire contre son propre gradient de concentration. D’autre part, les concentrations extracellulaires de Na+ et Ca2+ sont bien moins variables que les concentrations cytosoliques dans des conditions physiologiques.

les digitaliques Figure 1

Figure 1. Mécanisme de la contraction des cardiomyocytes

Le sodium entré dans le cardiomyocyte est ensuite externalisé par la Na+/K+ ATPase. En effet, la pompe Na/K ATPase (ou pompe à sodium), en extrayant du sodium intracellulaire est le principal déterminant de la concentration cytosolique en sodium. L’influx sodique suivant les potentiels d’action cardiaque en est le second déterminant.

Médicaments existants

Les digitaliques ont été découverts par William Withering, médecin et botaniste britannique du XVIIIème siècle. Withering constate que l'état de l'un de ses patients, atteint « d’hydropisie » (probablement oedèmes liés à une insuffisance cardiaque congestive), s'améliore considérablement après l'administration d'un mélange de plantes. Withering étudie alors ce mélange, identifie que le principe actif est issu de la digitale pourpre et le nomme digitaline. Il est important de noter que la présence de ces substances dans les digitales est un mécanisme de défense contre les herbivores vertébrés, expliquant la toxicité de ces plantes.

digitale copie photo

Figure 2. Photo de digitale

Les propriétés toxiques étaient d’ailleurs bien connues, d’où les surnoms des digitales : Dead Man’s Bells, ou Witches’ Gloves.
Les digitaliques sont donc des substances d'origine végétale, issues de la digitale pourpre (Digitalis purpurea, Figure 2) ou de la digitale laineuse (Digitalis lanata). Ces glycosides cardiaques possèdent un noyau stéroïde commun substitué par un ou plusieurs résidus glycosides en C3, d’où leur autre dénomination (glycosides cardiaques ou glycosides digitaliques). L’amélioration de la prise en charge de l’insuffisance cardiaque a limité l’intérêt de cette classe thérapeutique qui reste cependant utilisée dans le contrôle du rythme cardiaque de la fibrillation auriculaire. La digoxine est le seul digitalique actuellement utilisé.

     

Digoxine

Forme orale (comprimé et solution buvable) et injectable

Chez l’adulte : Traitement d’entretien 0,25 mg/j
Sujet âgé : 0,125 mg/j
Traitement d’attaque par voie intraveineuse : 1 à 2 ampoule (0,50 mg)/jour

Mécanismes d’action des différentes molécules

1- Effet inotrope positif 
Les digitaliques sont de puissants et très sélectifs inhibiteurs du transport transmembranaire actif assuré par la Na+/K+ ATPase (Figure 3). Cet effet est lié à une liaison réversible, en compétition avec les ions K+, à la sous unité α de la Na+/K+ ATPase. En présence de digitalique, il existe donc une élévation de la concentration sodique cytosolique. Ceci réduit le gradient sodique transmembranaire ; l’antiporteur Na+/Ca2+ va alors fonctionner en mode inverse en faisant sortir le sodium vers le milieu extracellulaire et entrer le calcium dans le cytosol. Par conséquent, une quantité plus importante de calcium est recaptée dans le réticulum sarcoplasmique et libérée lors du phénomène de « calcium-induced calcium release » lors de la dépolarisation cellulaire suivante, ce qui augmente la contractilité myocardique (effet inotrope positif).

les digitaliques Figure 1

Figure 3. Mécanisme d’action myocardique de la digoxine

2. Action électrophysiologique 
A des concentrations thérapeutiques, la digoxine diminue l’automaticité (action chronotrope négative) et ralentit la conduction auriculo-ventriculaire (action dromotrope négative). Ces phénomènes sont liés à une augmentation du tonus vagal et une diminution du tonus sympathique. A des concentrations plus élevées, la digoxine augmente l’excitabilité ventriculaire (action bathmotrope positive).

3. Effet de régulation du tonus sympathique 
Il existe un effet direct des digitaliques sur la réponse baroréflexe carotidienne aux variations de pression (sensibilité diminuée dans l’insuffisance cardiaque, restaurée, peut être par inhibition de la Na+/K+ ATPase des baro-récepteurs) induisant une diminution du tonus sympathique. Cet effet de réduction de l’activation neurohormonale représente sans doute une part importante de l’action des digitaliques.

Effets utiles en clinique

- Insuffisance cardiaque (dysfonction systolique). La digoxine n’est plus un traitement de première intention de l’insuffisance cardiaque. La digoxine améliore les symptômes de l'insuffisance cardiaque, mais son effet sur la mortalité est neutre voire délétère. Elle est donc indiquée uniquement 1-en cas de fibrillation auriculaire associée pour ralentir la fréquence ventriculaire ou 2-en recours chez des patients restant symptomatiques après traitement par les médicaments ayant démontré un effet bénéfique sur la mortalité (inhibiteurs de l’enzyme de conversion et β–bloquants).

- Troubles du rythme supra-ventriculaire : Fibrillation auriculaire ; flutter auriculaire à réponse ventriculaire rapide (pas d'effet anti-arythmique direct, mais amélioration de la tolérance hémodynamique par ralentissement de la fréquence cardiaque et de la conduction auriculo-ventriculaire).

Posologie

molécules

posologie

Digoxine

Traitement d’entretien 0,25 mg/j

Sujet agé : 0,125 mg/j

Traitement d’attaque par voie intraveineuse : 1 à 2 ampoule (0,50 mg)/jour

Caractéristiques pharmacocinétiques utiles en clinique

La digoxine est principalement présente sous forme libre dans le sang, ce qui explique sa rapidité d'action : début d'activité, 10 à 30 minutes par voie veineuse, 1 à 2 heures per os. Elle est administrée en une prise quotidienne. Son activité se manifeste au bout de 10 à 30 minutes par voie veineuse, 1 à 2 heures per os.

Molécule

Demi-vie moyenne

Absorption digestive

Distribution

Métabolisme

Elimination

Digoxine

36 h

Variable, notamment selon la fonction rénale

70 %

L’abosrption digestive fait intervenir des transporteurs membranaires, principalement la P-gp, qui pourront contribuer aux interactions médicamenteuses.

La digoxine  est principalement présente sous forme libre dans le sang, non liée aux protéines plasmatiques (80 %). Le principal réservoir tissulaire est le muscle squelettique, avec un large volume de distribution (Vd 5 L/kg) expliquant la mauvaise efficacité de l’hémodialyse en cas d’intoxication

Biotransformation hépatique négligeable

Élimination essentiellement rénale sous forme non biotransformée ; il existe une étroite corrélation entre la clairance rénale de la digoxine et le débit de filtration glomérulaire.

Source de la variabilité de la réponse

  • Interactions médicamenteuses

Interactions médicamenteuses

 

Mécanisme et conséquences de l’interaction

Tous les médicaments hypokaliémiants (diurétiques, laxatifs, corticoïdes, amphotéricine B,…)

Augmentation de la toxicité des digitaliques (effet bathmotrope positif)
Médicaments bradycardisants et inotropes négatifs Majoration de l’effet chronotrope, dromotrope et inotrope négatif
Le calcium I.V. Augmentation de la toxicité des digitaliques (effet bathmotrope positif)
Phénobarbital, phénytoïne Diminution des concentrations plasmatiques

Quinidine, inhibiteurs calciques, amiodarone, cyclines,

érythromycine et salazosulfapyridine

Majoration des concentrations plasmatiques par interférence avec la Pgp (augmentation de la biodisponibilité orale).

Situations à risque ou déconseillées

Contre-indications :

  • Formelles

- Bloc auriculo-ventriculaire de 2° ou 3° degré non appareillé
- Hyperexcitabilité ventriculaire
- Hypokaliémie : augmente la toxicité myocardique des digitaliques et favorise les troubles du rythme ventriculaire
- Fibrillation auriculaire associée à un syndrome de Wolff-Parkinson-White (risque d’accélération de la conduction sur le faisceau accessoire)
- Cardiomyopathie hypertrophique obstructive et rétrécissement aortique serré (l'effet inotrope positif va augmenter l'effet hémodynamique de l'obstacle)
- Cardiothyréose
- Calcithérapie par voie intra-veineuse

  • Relatives

- Bloc auriculo-ventriculaire du 1° degré : surveillance stricte (clinique + E.C.G) lors de l'instauration du traitement
- Insuffisance rénale sévère : nécessité de diminuer les doses et de vérifier par suivi thérapeutique pharmacologique la concentration plasmatique de la digoxine
- Age : les sujets âgés, avec amaigrissement et fonction rénale altérée sont un terrain favorisant l'intoxication digitalique. Nécessité d’une surveillance
- Hypercalcémie, favorisant la survenue de troubles du rythme ventriculaire

Précautions d’emploi

La marge entre dose thérapeutique et dose toxique est très étroite, en particulier chez le sujet âgé ou insuffisant rénal. Un suivi thérapeutique pharmacologique est donc conseillé, en particulier chez le sujet âgé. 

La digoxine est un inhibiteur de la PgP, elle va donc induire une augmentation des concentrations circulantes des médicaments substrats de la PgP (mécanisme : augmentation de l'absorption intestinale, diminution de l'élimination hépatique et rénale, meilleure diffusion hémato-méningée). Il faut limiter dans la mesure du possible la co-prescription de ces médicaments et surveiller attentivement l'efficacité et la toxicité des médicaments substrats quand il n'existe pas d'alternative thérapeutique.

Les principaux médicaments substrats de la PgP sont

- Les anticancéreux "usuels/classiques" : anthracyclines, inhibiteur de topoisomérase II, paclitaxel, vinca-alcaloïdes
- Les "nouveaux" anticancéreux : inhibiteur de tyrosine kinase (pazopanib, erlotinib, afatinib, lapatinib, nilotinib, crizotinib, céritinib, bosutinib, idésalisib, lenvatinib), ou autres antitumoraux (trabectédine, vémurafénib, éribuline, lénalidomide, pomalidomide, DM1 dans l'association trastuzumab emtasine, vismodégib, olaparib, panobinostat, tramétinib, cobimétinib)
- Certains immunodépresseurs : ciclosporine, tacrolimus, sirolimus, évérolimus
- La colchicine
- Médicaments hypoglycémiants : sitagliptine, saxagliptine, linagliptine, empagliflozine
- Médicaments de l'hémostase : anticoagulants (rivaroxaban, apixaban, édoxaban, dabigatran), un anti-agrégant le ticagrélor
- Antirétroviraux : ritonavir, saquinavir, ténofovir, maraviroc
- Antiviraux : sofosbuvir, daclatasvir, lédipasvir, siméprévir, télaprévir, paritaprévir
- Antifongique : posaconazole

Effets indésirables

Aux doses thérapeutiques :

Les effets indésirables sont rares si les concentrations plasmatiques sont adéquates. La survenue d’effets indésirables est en général un signe de surdosage. On distingue des effets cardiaques (les plus graves, résultant de la majoration des effets chronotrope négatif, dromotrope négatif et bathmotrope positif) et extracardiaques (digestifs, neurosensoriels).

Nature de l’effet indésirable

Gravité

Estimation de la fréquence

En savoir plus sur l’effet indésirable

Nausées et vomissements

Modérée

Fréquent

Sont les premiers signes de surdosage

Troubles de l'excitabilité ventriculaire

Variable

Fréquent

Survenue d’extrasystoles ventriculaires, signe d’alerte

Figure 4

Modifications électrocardiographiques sous digoxine aux doses thérapeutiques

Modérée

Très fréquent

bradycardie sinusale ou ralentissement d’une fibrillation auriculaire par ralentissement de la conduction auriculo-ventriculaire
- raccourcissement de l'intervalle QT
- sous-décalage en cupule du segment ST

Cupule digitalique figure 5

, prédominant dans les dérivations précordiales gauches. II ne s'agit pas d'un signe de surdosage ou de toxicité mais d'imprégnation.
- aplatissement ou négativation des ondes T. Ces anomalies rendent difficile l'interprétation de la repolarisation.

Intoxication aiguë et surdosage :

  • Symptômes

- Troubles cardiaques avec anomalies de l'ECG potentiellement graves, voire mortelles : tous les troubles de la conduction et de l'excitabilité peuvent être observés : extrasystoles ventriculaires, souvent bigéminées, tachycardie ventriculaire tachysystolie auriculaire avec conduction 2/1, troubles de conduction
- Troubles digestifs premiers signes de surdosage (anorexie, nausées, vomissements, diarrhées)
- Troubles visuels (dyschromatopsie : troubles de la vision des couleurs, hallucinations visuelles)
- Troubles neurologiques (vertiges, céphalées, insomnie, troubles psychiques chez le sujet âgé)
- On considère que la toxicité se manifeste généralement pour des concentrations supérieures à 2,0 ng/mL, mais il convient de se rappeler qu’il s’agit d’un seuil relativement arbitraire

  • Conduite d'urgence

- Dans le cas d'un surdosage thérapeutique : arrêt du digitalique et repos. S'abstenir de la prise d'antiarythmiques ou d'isoprénaline du fait du risque accru de troubles de rythme ventriculaire.

  En cas de bradycardie : administration d'atropine ; en cas d'hyperexcitabilité myocardique : administration de phénytoïne ou de lidocaïne.

- L’utilisation des anticorps monoclonaux spécifiques Fab, antidote spécifique, est indiquée en cas de toxicité avec mise en jeu du pronostic vital, en particulier les arythmies ventriculaires graves ou les bloc atrio-ventriculaires ne répondant pas à l’atropine. Ces anticorps sont issus d’immunoglobulines de moutons immunisés avec un digitalique, fournis sous forme de poudre lyophilisée. Leur efficacité repose sur une liaison quasi-complète de la fraction libre de digoxine présente dans l'espace extracellulaire, entraînant la formation de complexes anticorps-digoxine inactifs. Le gradient de concentration provoque une diffusion de digoxine intracellulaire vers l'espace extracellulaire où elle est neutralisée par les anticorps. Il existe un risque de choc anaphylactique. La dose administrée dépend de la quantité de digoxine à neutraliser.

Surveillance des effets

La surveillance de base est clinique. Les concentrations plasmatiques thérapeutiques recommandées sont comprises entre 0,9 à 2 ng/ml. Il est important cependant de noter que l’efficacité neurohormorale est atteinte pour des concentrations de 0,5 à 1 ng/ml, alors que l’effet maximal sur la contractilité cardiaque est observé pour des concentrations qui varient de 1,4 à 1,8 ng/ml.
Il existe clairement un chevauchement des valeurs de concentrations plasmatiques entre les zones thérapeutique et toxique, avec une corrélation entre risque de décès et concentrations et ce même pour des concentrations thérapeutiques. Néanmoins, la toxicité se manifeste généralement pour des concentrations plasmatiques de digoxine supérieures à 2,0 ng/mL.

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  • 12 mai 2022